HEURS ET MALHEURS D'UN VICHYSTE !

Prologue

Mon Dieu, pardonnez-moi parce que j'ai pêché !

Dans la guerre, j’ai évolué à l’aise dans les couloirs de Vichy !

J’ai commis un crime contre l’humanité un jour de 1941 : J’ai déjeuné avec le maréchal Pétain !

Il est vrai que des gens très proches du maréchal me faisaient porter à domicile des valises de faux vrais papiers. Si j’avais fait payer aux Juifs, si seulement j’avais accepté l’argent qu’ils m’offraient de bon cœur, je serai un homme respectable. J’aurais peut-être reçu la croix du Juste. J’aurais pu l’accrocher au collier de mon chien, comme l’a fait mon ami Carbon (1) sur la place Rouge quand le maréchal Joukov lui a remis l’Etoile Rouge.

Mais j’ai toujours eu l’outrecuidance de refuser l’argent que l’on m’offrait.

Je suis vraiment un être méprisable comme tous ceux qui fréquentaient Vichy.

Je demande humblement pardon à Dieu, à Moïse et à tous ses saints !

Albert Bannes, 1997

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(1) 1 Yves Carbon (1911-1949) http://www.cieldegloire.fr/004_carbon3.php


Pour la mémoire

Depuis quelques années mais surtout depuis quelques mois nous assistons à une flambée de haine anti-française que je n’aurais jamais cru possible.

Je comprends parfaitement que les descendants et les parents de juifs morts en déportation souhaitent se venger. C’est tout à fait logique et légitime, seulement ils ne devraient pas se tromper de cible. Quand Maître Klarsfeld retrouvait un nazi planqué quelque part, cela me faisait grand plaisir. Qu’en France il s’en prenne à l’équipe Laval, quelque part je l’aiderais volontiers, mais qu’il attaque (avec tous les médias) et accuse tous les Français d’avoir collaboré, et notamment toute l’administration sous Vichy d’avoir livré des juifs aux nazis, je ne suis pas d’accord. Je me sens visé. Si j’étais le seul, je fermerais ma gueule. Mais je pense à tous mes camarades qui sont morts sous la torture, fusillés ou en camp de concentration et je trouve que les juifs (du moins beaucoup) qui vocifèrent contre « la France de Vichy » ne se sont jamais posé la question. Ces Juifs nés après la guerre, s’ils sont nés c’est parce que leurs parents n’ont pas été déportés.

Or Hitler avait ordonné que tous les Juifs soient déportés. La France a été le pays occupé qui a livré le moins de juifs aux nazis. Il ne faudrait tout de même pas l’oublier ! Il n’y a eu « que » guère plus de 10% des juifs français déportés. C’est bien malheureux pour eux bien sûr mais ils n’ont pas été les seuls. Il y a eu non pas 6 millions de juifs français déportés, comme l’a dit un présentateur de la télé, mais 72 000 alors qu’il y a eu 200 000 déportés résistants, avec les otages. Personne ne parle jamais des otages, il y en a eu beaucoup. Dans mon convoi de Compiègne à Buchenwald il y avait les 500 otages de Saint-Claude ; je crois que 2 sur 500 sont revenus. Je ne cite que ceux que j’ai vus. Dans ce convoi il y avait aussi 3 anciens sous-officiers de la B.A. (2) d’Aulnat Ils n’avaient pas fait de résistance mais ils se promenaient un dimanche après-midi sur la place de Jaude à Clermont-Ferrand. Deux s’étaient placés devant la statue de Vercingétorix pour se faire photographier par le 3ème. Deux types de la Gestapo ont cru qu’ils étaient visés ; ils ont embarqué les 3 sous-officiers qui sont morts en déportation. Il n’y a pas que les juifs qui ont été déportés et sont morts dans les camps ! Il suffisait de bien peu de chose et ni Pétain, ni l’administration de Vichy, ni Papon ou autre n’en était responsable. Nous étions à la merci des Allemands. En 1997 tous les médias (à commencer par le Président de la République) voudraient nous faire croire que la France et les Français sont responsables, mais c’est une falsification de l’Histoire bien pire que les histoires de Faurisson.

Récemment, Madame Simone Veil a fait une prestation à la télé qui m’a plu. Je lui ai d’ailleurs écrit pour l’en remercier. Elle a essayé de remettre les pendules à l’heure mais le présentateur n’arrêtait pas de l’interrompre et voulait l’empêcher de parler. Malheureusement il n’y a pas eu beaucoup de personnalités disposées à dire la vérité.

Ces abrutis de la télé qui prétendent informer les Français ont raconté tellement de contrevérités et excité à la haine, que ces jours-ci un cinglé est allé poser une bombe aux bains de Vichy.

Il y a quelques années dans les réunions d’anciens déportés nous étions tous copains. Souvent nous ne savions même pas si le voisin était juif ou non ! Dans les années 50 je me souviens que nous avons voté une motion demandant que les déportés juifs puissent bénéficier des mêmes droits que les députés résistants ; pas une voix n’a manqué. Maintenant les déportés juifs ne veulent plus être comme nous. Ils veulent nous faire croire qu’ils sont différents, qu’ils ont souffert plus que nous, etc. etc. On fêtait ensemble la journée de la déportation le 28 avril, ça ne leur convient pas ! Ils veulent fêter la libération d’Auschwitz. Or tout le monde devrait savoir que les SS ont évacué ce camp avant l’arrivée des Russes et que les survivants ont été répartis dans des camps de résistants. Je suis devenu copain de deux d’entre eux au camp d’Ellrich et ils regrettaient de ne pas être passés à la chambre à gaz, avec de bonnes raisons, car ils y sont morts dans les derniers jours de mars 45. Quant aux rares survivants restés à Auschwitz à l’arrivée des Russes, le gentil petit Père des Peuples les a transférés dans des goulags. Je ne vois pas là matière à commémoration. Quant à ceux qui étaient venus dans des camps de résistants ils ont été libérés comme nous, là où ils se trouvaient. J’étais à Bergen-Belsen, Madame Veil aussi ; je ne l’ai jamais rencontrée.

Les SS n’organisaient pas de soirées dansantes. Il y avait 30 000 femmes et seulement 15 000 hommes (un de moins car au dernier appel, le 14 avril après-midi, je suis resté sur un tas de macchabées tout le temps de l’appel ; je l’ai raconté par ailleurs).

Que maintenant certains s’acharnent à dresser les Français les uns contre les autres, les déportés juifs contre les résistants à quoi cela rime-t-il ?

Il n’y a pas longtemps à la télé on nous a présenté un soi-disant déporté qui a parlé longuement sans être interrompu une seule fois. Il nous a dit que la chose dont il avait souffert c’est qu’il n’arrivait pas à trouver la marque de dentifrice de son choix - ou quelque chose de similaire -mais il a terminé en disant : « Il est vrai que j’étais dans un camp de concentration, je n’étais pas dans un camp d’extermination ». Ce faux témoin, son présentateur, auraient dû être poursuivis en justice car il y a déjà longtemps qu’une loi a été votée interdisant aux STO  (3) de se prévaloir du titre de déporté. Il y a eu de nombreux procès que nous avons gagnés sans difficulté puisque c’est la loi. Mais la télé peut dire n’importe quoi ; ils sont au-dessus des lois comme Georges Marchais ! la télé nous a montré un gros plan d’une de ces cartes « déporté du travail » alors que cette appellation est interdite par une loi.

Une autre émission récente m’a scandalisé « Les patrons sous Vichy » avec 2 soi-disant historiens et un présentateur qui ne les a jamais interrompus. Ils ont parlé près d’une heure pour faire croire que les patrons étaient heureux de travailler pour les Allemands et que Vichy les y avait encouragés, et qu’ils avaient gagné de l’argent. Quand ils ont parlé de l’aviation toutes les usines avaient travaillé pour les Allemands parce qu’elles étaient nationalisées. Pas un mot de Bloch (4) (Dassault) qui a été déporté comme résistant et non comme juif. Alors qu’en 39 toutes les usines d’aviation sabotaient à tour de bras (j’en sais quelque chose), chez Bloch il n’y a jamais eu de sabotage en 39-40. Quand ils en sont arrivés aux pneus ils ont eu le culot de dire : « Michelin s’en est bien tiré ! » alors que Michelin (5) est mort à Buchenwald. Et on présente ces gens-là comme historiens ! Voilà comment on informe le bon peuple de France. Ah, si Bloch et Michelin avaient été communistes, on ne les aurait pas oubliés. Les imposteurs, les Aubrac et autres ont droit à tous les égards mais les honnêtes gens…

On m’a souvent qualifié de « communiste primaire ». Je n’ai jamais fait de politique mais en septembre 39 je devais essayer des avions Morane 406 sortant d’usine avant de les livrer en escadrille. Je devais monter en altitude et secouer l’appareil dans les pires conditions possibles. Mon aileron droit s’est mis à flotter dans le vent, commande cassée, axe en trois. J’ai pu regagner le terrain parce que j’avais fait l’école de voltige d’Etampes et j’avais appris à me sortir de toutes les situations mais un jeune pilote se serait tué. 15 pilotes se sont tués sur des M 406 sabotés en 39-40. Tillon, Ministre de l’Air en 45 a fait disparaître tous les rapports sur ce sujet. A Buchenwald, Marcel Paul m’a fait sortir d’un kommando peinard pour m’envoyer à Dora où la moyenne de vie était de 45 jours. Alors si je suis devenu anticommuniste, j’espère qu’on ne m’en voudra pas trop. Ils sont tellement experts pour falsifier l’Histoire que bientôt ils essaieront de nous faire croire que le super super résistant de l’avant-première heure était Maurice Thorez lui-même.

Et je vais dire pourquoi le régime de Vichy n’était pas du tout comme on voudrait nous le faire croire à présent.

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(2) Base Aérienne

(3) Service Travail Obligatoire
(4) Marcel Bloch (1892-1986)

(5) Marcel Michelin (1886-1945)

Le régime de Vichy et l'armée

J’ai fait la campagne de mai-juin 40 au groupe de chasse 2/9 (6) . Mon commandant de groupe était le commandant Rollet (7) , mon chef d’escadrille Delfino (8) alors capitaine. J’étais sous-lieutenant depuis le 25 décembre 39. Nous étions comme il se doit 24 pilotes avec 24 avions Bloch 152, armés chacun de 2 canons de 20 et 2 mitrailleuses de 7,7. Au cours de la bagarre nous avons abattu 27 avions allemands mais nous avons perdu 12 pilotes (1 sur 2 ; ça fait déjà mal). Nous avons dû nous replier comme tout le monde. Partout où nous passions nous étions insultés : « Ah, maintenant on les voit les aviateurs français… ». Et souvent il y avait des bagarres car nous en avions gros sur le cœur. Plus tard à Harzungen j’ai raconté par ailleurs comment 2 postens se mettaient au garde-à-vous quand je passais devant eux, et que 2 civils allemands essayaient de me donner un peu de nourriture ou des cigarettes. Je me suis rendu compte que les allemands qui avaient fait la campagne de 1940 en France avaient eu une peur bleue des aviateurs français. Il n’y avait pas que les combattants tournoyants devenus si célèbres pendant la guerre de 14. En 40 ces combats avaient bien lieu, et beaucoup plus rapides mais beaucoup trop haut pour être observés depuis le sol. Par contre, les avions allemands qui attaquaient les troupes au sol étaient bien visibles. Les Français qui nous insultaient ne nous voyaient pas quand nous attaquions les Allemands ; même pour la chasse, il nous arrivait souvent d’effectuer des missions de protection d’avions français qui allaient photographier au-delà de nos lignes. Nous nous tenions en général à 1 000 mètres au-dessus, mais quand ils nous disaient « mission terminée » nous attendions une ou 2 minutes pour nous assurer qu’aucun avion allemand ne les poursuivait, mais nous ne rentrions pas avec nos chargeurs pleins ; nous cherchions une belle colonne avec des side-cars, voitures légères et camions avec troupe ; on leur plongeait dessus et ils prenaient sur la figure. La patrouille étant toujours de 3 avions, cela faisait au total 900 obus de 20 et 6 000 balles de 7,7.

Je passe sur les événements de la débâcle, tentative collective de départ en Angleterre, etc. Début août 40 nous nous sommes trouvés à Aulnat en protection de Vichy. Nous devions subir la komission d’armistice qui contrôlait tout et mettait son nez partout. Le commandant Rollet devait les accueillir. Ils devaient quand même annoncer leur arrivée, alors le commandant Rollet les attendait, planté sur le perron (son bureau était au premier étage). Dès que le premier officier allemand mettait le pied sur la première marche, Rollet saluait tout le temps que les allemands montaient l’escalier. En arrivant sur le perron, les allemands ils lui tendaient la main. Imperturbable, le commandant Rollet gardait son pouce droit collé à la casquette. Jamais il n’a serré la main d’un officier allemand. Nous nous disputions les places d’où on pouvait voir la scène ; cela nous amusait beaucoup.

Je fais une petite digression : à mon retour de déportation j’ai appris que le colonel Rollet était en prison accusé de collaboration ! J’ai fait une longue lettre que j’ai envoyée à qui de droit en expliquant ce que je l’avais vu faire, et disant qu’en aucun cas Rollet n’avait pu collaborer avec les boches. J’ignore si mon témoignage en est la cause, mais le colonel Rollet a été libéré. Il était anticommuniste, ça c’est vrai et comme après la libération les communistes étaient les maîtres, le colonel Rollet, le premier résistant que j’ai connu, a fait un peu plus d’un an de prison. Il pouvait se consoler en songeant que d’autres résistants avaient été tout bonnement assassinés par les FTP.

Le premier incident sérieux avec la commission d’armistice s’est produit en décembre 40 ou janvier 41 : 3 sous-officiers ont pris une initiative qui aurait pu mal se terminer.

Ils ont appris que la commission venait le lendemain. Dans la nuit ils ont trouvé un gros poteau téléphonique qu’ils sont allés planter contre un vrai dans un virage de la petite route qui menait à Aulnat Nord où était stationné le GC-2/9. Ils avaient prévu un système d’attache qui libérait le poteau en tirant sur une ficelle. Ils avaient bien choisi l’endroit : dans un virage où la route bordait la Tiretaine, nom poétique qui désignait le collecteur des égouts de Royat, Chamalières et Clermont-Ferrand. Enfin, le poteau devait tomber en biais en plein virage et il est bien tombé là où c’était prévu, et la Mercedes des officiers allemands s’est retrouvée dans la Tiretaine et sur le dos. Il n’y avait pas assez de liquide pour qu’ils se noient mais ils ont dû bien patauger dans ces effluents. Les gendarmes informés par des témoins sont venus, des témoins leur ont dit qu’ils avaient aperçu des sous-officiers dans le coin. Ils sont venus directement au 2/9. Le commandant Rollet mis au courant leur a interdit l’entrée de la base mais il m’a appelé en me disant : « Vous êtes officier de sécurité, débrouillez-vous pour étouffer cette affaire ». Je suis allé voir les gendarmes et je leur ai dit que les allemands n’avaient pas encore réagi et que lorsqu'ils réagiraient nous aviserions. Je leur ai conseillé de prévenir les témoins qu’ils feraient mieux de n’avoir rien vu. Trois des gendarmes en question ont accepté ma suggestion, presque avec enthousiasme, mais le 4ème est obstiné ; il ne voulait rien savoir, il voulait rendre compte, ils sont repartis et moi je suis allé voir le commandant Rollet. Il a téléphoné puis il m’a dit : « Allez voir le commandant Fontfrède (9), c’est lui qui commande toute la gendarmerie du Puy-de-Dôme, il arrangera ça ». J’ai pris mon vélo et je suis allé voir le commandant Fontfrède lequel m’a très bien reçu. Je lui ai expliqué ce qui m’était arrivé et il a souri. Puis il a convoqué le gendarme récalcitrant et devant moi lui a passé un savon… Jamais je n’avais vu un sous-officier se faire engueuler de la sorte. Je lui ai demandé s’il était français ou boche, j’en étais gêné. Cette affaire s’était étouffée toute seule. Par peur du ridicule, je pense les allemands n’ont rien dit, et de notre côté… très très peu de personnes ont été informées de ce « premier acte de résistance » que je n’aurais certes pas approuvé !

Par la suite je suis devenu un peu complice du commandant Fontfrède. Il m’avait pris en amitié. Plus tard début 43 j’allais le voir en fin de mois, il me donnait une copie des ordres qu’il envoyait à toutes les brigades pour les barrages et contrôles… afin que nous n’allions pas nous jeter dedans avec des camions chargés d’armes. De mon côté je lui ai fourni une bonne centaine de cartes d’identité dont la plupart étaient destinées à des juifs. Le commandant Fontfrède a été arrêté quelques mois avant moi, et lui n’est pas revenu. Il est mort à Dora je crois. J’ai souvent pensé à lui. Il a fait un énorme travail dans la Résistance. Il faisait partie de l’O.R.A. (10) , mais il rendait d’énormes services à tous les mouvements de Résistance et aux juifs à qui il a fait porter beaucoup de faux-papiers et il obligeait les gendarmes du Puy-de-Dôme à faire de même. Ils ont trinqué aussi. La brigade de Volvic a été arrêtée en totalité et tous déportés, sauf un qui s’est évadé de Compiègne. Il m’a même frôlé en disant : « Au revoir mon Lieutenant, mais j’espère que ce ne sera pas demain » et moi j’avais pourtant beaucoup fait pour faire comme lui mais je n’ai pas pu.

Je reviens à 1941. Les permissions pour la zone occupée ont été rétablies pendant l’été. J’ai été convoqué à Vichy (sécurité Air). Un colonel nous a expliqué que s’il nous avait convoqués c’était pour nous donner des instructions qu’il ne pouvait écrire, que par conséquent nous pouvions ranger nos papiers et nos stylos. Il nous a annoncé que des permissions pourraient être délivrées au compte-gouttes pour les militaires ayant leur famille en zone non-occupée. Nous devions viser leurs demandes de permission, après les avoir bien préparées. S’ils allaient dans une région intéressante nous avions même le droit de prolonger la permission de quelques jours. Au retour bien entendu, ils devaient rendre compte de ce qu’ils avaient vu. A la fin de cette réunion on a posé la question traditionnelle : «Avez-vous des questions ? ». L’un de nous s’est levé et a dit : « En résumé nous ne sommes pas des espions mais nous devons former des espions ». Et il a répondu : « Vous avez bien entendu, le maréchal compte sur vous, au revoir Messieurs ». Nous collectionnions tous les renseignements possibles, lesquels étaient rassemblés, recoupés et mis en forme pour être transmis à Londres. Je ne dis pas qu’ils allaient au général De Gaulle mais je suis absolument certain qu’ils parvenaient aux alliés. Je précise que nous ne nous cachions guerre, nous n’avions pas du tout l’impression de « faire de la Résistance » mais de faire tout simplement notre travail. Nous n’avions à nous cacher que des sbires de Laval. C’est au cours de l’été 41 que le commandant Rollet m’a chargé de mettre discrètement tous les 15 jours 50 litres d’essence dans le camion qui allait chercher du ravitaillement à l’Intendance à l’intention du colonel Boutet (11), commandant la subdivision. Par l’officier de sécurité à la Sub (12) que je rencontrais souvent, j’ai su que le colonel Boutet constituait un stock d’essence du côté d’Aubière. Je n’avais toujours pas l’impression d’être dans la Résistance. A ma connaissance, tous les militaires de l’armée de l’armistice travaillaient à la préparation de la 2ème manche… sans aucun état d’âme. Le commandant Rollet a été promu lieutenant-colonel et remplacé par le commandant Naudy (13) . J’ai continué ce que je faisais sans même lui en demander la permission tant cela me paraissait normal.

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(6) Groupe de Chasse II/9 basée à Aulnat en août 1940
(7)  Marcel, Eugène, Edmond, Henri Rollet (1889-1988)
(8) Louis Delfino (1912-1968)  - https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Delfino

(9) Antoine Fontfrède (1899-1945) - https://www.memorialgenweb.org/memorial3/deportes/complement.php?id=65882
(10) Organisation Résistance Armée

(11) Jacques Boutet (1890-1944), lieutenant-colonel et résistant à l’ORA, fusillé à Clermont-Ferrand le 10 mai 1944 après avoir été torturé - https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Boutet_(1890-1944)
(12) Subdivision
(13) André Naudy (1904-1946), colonel résistant, mort dans un accident d’avion en Afrique-du-nord en avril 1946 - https://www.museedelaresistanceenligne.org/personnedetail.php?id=46171

Tentative de rejoindre l'Angleterre

Il s’est passé quelque chose de louche peu de jours avant la 2ème invasion allemande. Le commandant Naudy a quitté le commandement et il a été remplacé par le commandant Rousseau-Dumarcet (14) . Je l’ai retrouvé mais après. Là il y a eu du cafouillage. Quand nous avons compris que les allemands allaient envahir la zone libre, nous avons monté sur tous les Bloch 15 les réservoirs supplémentaires qu’on pouvait monter à la place des bombes. Avec ces réservoirs nous pouvions atteindre l’Angleterre. La commission d’armistice l’a su et a protesté à Vichy qui ne pouvait que nous donner l’ordre de retirer les réservoirs supplémentaires. Si Naudy avait été encore commandant du groupe, il aurait donné l’ordre de décollage la nuit suivante mais Rousseau-Dumarcet a fait retirer ces réservoirs. Quand les boches sont arrivés ils ont trouvé nos avions intacts, ils les ont même utilisés. Si Rollet ou Naudy avaient été là, je suis certain que nous serions tous partis en Angleterre. Mes copains comme tous les pilotes du 2/9 y compris Rousseau-Dumarcet sont partis via l’Espagne à pied ou presque. Ragot (15) et Bertrand sont venus chez moi à Chamalières l’avant-veille de leur départ pour me supplier de partir avec eux, mais j’avais retrouvé le commandant Naudy qui m’avait demandé de rester et je suis resté. En 46 ou 47, j’ai rencontré Rousseau-Dumarcet qui m’a reproché de ne pas être parti avec eux. Il a eu le culot de me dire que si j’avais été déporté, c’était bien fait pour ma gueule. J’avais très mal pris la chose et je lui ai dit que s’il avait donné l’ordre de départ avec les réservoirs supplémentaires, je n’aurais pas hésité une seconde, mais qu’il les avait fait retirer pour nous empêcher de partir, que d’autre part le commandant Naudy m’avait donné l’ordre de rester parce qu’il avait du travail à me donner et que je préférais obéir aux ordres du commandant Naudy qu’à lui-même. J’étais déchaîné. Je me suis dit que je n’avais pas intérêt à me retrouver sous ses ordres.

À titre documentaire, tous mes camarades pilotes du 2/9 sont restés en prison chez Franco quelque temps. Après moult péripéties plusieurs se sont retrouvés au Normandie-Niemen. Delfino devenu colonel est rentré avec tous les honneurs mais mes copains Bertrand (16) Charras (17) et De Faletans (18)  ont laissé leurs os en Russie. Un autre est rentré vivant et cela vaut la peine de dire pourquoi, c’est Carbon. Ce gars était un type vraiment extraordinaire, pilote de chasse remarquable, mais toujours prêt à faire une sottise. Comme tous les pilotes du Normandie-Niemen, il a été décoré de l’Etoile Rouge sur la place Rouge par le maréchal Joukov. Il y avait de nombreux récipiendaires et lorsque Joukov s’est éloigné d’une cinquantaine de mètres, Carbon a sifflé le chien mascotte de l’escadrille et il a accroché l’Etoile Rouge au cou du chien, lequel est allé se balader sous le nez de Joukov qui l’a très mal pris et il a renvoyé Carbon en Angleterre via la Syrie. Comme moi il avait failli se tuer en 39 sur un M 406 saboté par la CGT.

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(14)  Hervé Rousseau-Dumarcet (1900-1970)
(15) Georges Joseph Ragot (1914-2009)
(16) Jean Bertrand (1907-1944), rejoint Normandie-Niemen le 28 décembre 1943. Il meurt le 26 août 1944 en mission au-dessus de l’Allemagne. http://www.cieldegloire.fr/004_bertrand_j.php

(17) Marc Charras (1916-1949), tué en Indochine le 30 juillet 1949 -  http://www.cieldegloire.fr/004_charras.php
(18) Thierry De Faletans (1917-1944), a rejoint Normandie-Niemen le 7 janvier 1944. Il meurt le 30 juin 1944 à Rilenki. http://www.cieldegloire.fr/004_de_faletans_b.php

Relations avec l'armée d'occupation


Après l’invasion de la zone libre je suis resté quelques jours sans trop savoir que faire. Le commandant Naudy ne m’avait pas donné d’instructions. J’ai reçu une convocation et une affectation à la S.A.P. (19). Auparavant il y avait des postes de guet qui signalaient les avions suspects. Les lignes téléphoniques aboutissaient à Aulnat à la voiture SFR (ancêtre d’une salle d’opération avec les radars) ; depuis que les allemands étaient là les lignes téléphoniques aboutissaient à la poste centrale place Delille. Ils avaient aménagé une table comme les tables de triangulation avec un officier et quelques soldats. Je me suis rendu à la convocation et je ne sais plus qui m’a expliqué ce qu’il fallait faire. Il fallait signaler les avions « ennemis » directement à Aulnat où ils avaient mis un groupe de chasse allemand. J’ai dit : « Mais je ne vais quand même pas travailler pour les boches !». Il m’a dit : « Vous n’êtes pas obligé de faire du zèle ». A contre-cœur j’ai pris mon service pendant quelques jours. Nous étions 4 officiers pour un service de 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Tout s’est passé sans incident pendant quelques jours. Une nuit où j’étais de service de minuit à 8 heures du matin, le guet a signalé un avion inconnu se dirigeant vers le sud. J’ai regardé ma montre et j’ai attendu ¼ d’heure puis j’ai prévenu les allemands. Vers 7h du matin un capitaine allemand est arrivé dans le local (ils avaient vu en recoupant les renseignements de leur poste de guet en zone nord qu’un retard malencontreux s’était produit à la poste centrale de Clermont). Ce capitaine allemand s’est mis à m’expliquer que si le renseignement prenait ¼ d’heure de retard avec le temps qu’il fallait pour décoller, l’avion ennemi était trop loin pour être rattrapé. Il a tracé sur la carte et fait ses démonstrations pendant plus d’un quart d’heure. Il m’a demandé à 10 reprises si je comprenais. Je répondais : « oui » sans plus. Finalement il m’a regardé de haut en bas et il m’a dit : « Quel est cet insigne que vous portez là ? » en me montrant le macaron de pilote. Je lui ai répondu : « C’est le macaron de pilote ». Il m’a dit : « Et vous pilotiez quoi ? ». Je lui ai répondu : « des Bloch 152 que vous utilisez maintenant ». Il est devenu blême. Sans un mot il est sorti en claquant la porte. Les soldats ont éclaté de rire ; ils en avaient envie depuis longtemps. Moi je riais bien peu mais je me demandais quelle serait la suite. Quand la relève est arrivée j’ai raconté au lieutenant qui prenait ma place ce qui venait d’arriver et j’ai ajouté : « Préviens ton remplaçant qu’il ne m’attende pas… je déserte ». Dans l’après-midi j’ai quand même pris mon vélo et je suis allé à Issoire où se trouvait le commandement de la SAP . Il y avait un colonel que je ne connaissais pas. Je lui ai dit : « Mon Colonel, par politesse je suis venu vous prévenir, mais ma décision est prise, je déserte ». Il m’a dit : « Mais vous comprenez bien qu’on a créé ça pour ne pas vous mettre dehors vous et les autres etc. etc. ». Je lui ai dit : « Mais cela me fait travailler directement pour les boches. Je ne me suis pas engagé pour travailler pour eux, ce n’est pas possible ». Il m’a dit : « Mais vous ne toucherez plus votre solde », à quoi j’ai répondu : « Je regretterai bien ma solde, mais j’aurai la conscience tranquille » et je suis parti. Pendant 3 jours j’ai essayé de me fabriquer une fausse carte d’identité. Le résultat était désastreux. Je suis allé voir le commandant Naudy pour lui signaler que j’étais entièrement disponible et je lui ai parlé de ma carte d’identité. Il m’a dit : « Mais vous ne connaissez pas le capitaine De La Blanchardière (20)? allez à tel numéro demain à 17 heures à 300 mètres d’ici, il vous fera tous les papiers dont vous avez besoin et ce sont des vrais ». Le lendemain j’y suis allé et 5 minutes plus tard j’avais une belle carte d’identité. C’est la seule fois que j’ai vu le capitaine De La Blanchardière et j’étais loin de me douter que je ne tarderais pas à prendre sa relève pour les faux-papiers.

Naudy m’a chargé de rechercher des terrains de parachutage et d’atterrissage pour petits avions ainsi que des endroits pour cacher des armes. Le fait que j’étais secrétaire de la société d’apiculture, que je connaissais beaucoup de paysans apiculteurs et que je parlais parfaitement le patois local me facilitait les choses. J’ai fait ce qu’il m’avait chargé de faire. Officiellement, j’achetais des essaims, j’en ai acheté réellement parfois.

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(19) Section des Atterrissages et des Parachutages

(20) Michel Lucien Marie Poinçon De La Blanchardière (1915-1944), arrêté en octobre 1943, déporté à Monthausen puis à Melk. Il meurt le 24 août 1944 -  http://memoiredeguerre.free.fr/biogr/poincon.htm

Activités pour l'O.R.A.

Un jour le commandant Naudy m’a annoncé que De La Blanchardière avait été arrêté. Il y avait bien un remplaçant pour les transmissions car il était aussi chef des transmissions de l’O.R.A. pour la zone sud. J’ai accepté mais à la condition qu’un très petit nombre de gens soient au courant. Ma chambre de bonne servirait de boîte aux lettres ; elle était indépendante, pratiquement invisible des autres habitants du 21 avenue de Royat avec 2 accès possibles dont un acrobatique, mais nous étions jeunes et sportifs. On pouvait y entrer par la fenêtre presque aussi facilement que par la porte. J’ai exigé qu’un seul initié par mouvement de Résistance connaisse l’entrée de cette chambre. Au début il n’y avait que Naudy, Frety (21) que je connaissais déjà, le commandant Fontfrède et 3 sous-officiers de la B.A. d’Aulnat : Charon (22) de Mithridate (23) , Bellut (24 qui avait du travail à la gare et connaissait Résistance-Fer (25) et le sergent Petit qui fréquentait les F.T.P. J’avais reçu l’ordre de fournir des papiers à tous ceux qui en avaient besoin : prisonniers évadés, réfractaires, juifs et tous ceux qui étaient recherchés. Si j’avais pu mettre une annonce sur La Montagne je l’aurais bien fait. Ceux qui en avaient besoin étaient bien obligés de passer par une filière. Ils n’en trouvaient pas toujours mais il me semble que ce n’était pas si difficile de prendre contact avec un mouvement de Résistance.

Pour ma solde, je percevais une indemnité de l’O.R.A. quand les parachutages arrivaient à destination, mais souvent ce n’était pas le cas. Je ne manquais pas de tickets d’alimentation ; tous les mois j’en trouvais une pleine valise dans ma chambre de bonne, mais il m’est arrivé de manquer d’argent pour acheter la nourriture. Avant mon arrestation, j’avais mis ma femme à l’abri avec mon fils aîné qui avait 3 ans et elle en attendait un 2ème. Mais cela s’est relativement bien passé sur le plan matériel : l’administration m’a repris en compte du jour de mon arrestation jusqu'à mon retour, mon CCP a été régulièrement alimenté. La radio de Vichy nous qualifiait tous les jours de terroristes et d’assassins, mais l’administration de Vichy payait la solde des militaires de carrière lorsqu’ils étaient arrêtés par la Gestapo. Je crois que cela doit être signalé.

Pendant l’été 43, un jour le commandant Naudy est venu me voir ; il préférait venir chez moi. Lui aussi n’aimait pas que trop de gens aillent à la SLOSA  (26)! Il m’a dit qu’un certain commandant Erulin (27) , chef du secteur du Mont Dore avait eu un très grave accident de moto au retour d’un parachutage. Il roulait tous feux éteints et il était tombé dans un ravin. Je devais le remplacer. Il avait déjà un adjoint (Lavigne-Delville 28) mais il avait trop de travail pour un seul officier. J’étais le seul à pouvoir le faire et j’étais déjà dans le bain pour les parachutages. Je suis allé voir le commandant Erulin, je l’ai trouvé à la polyclinique. Il n’avait pas bougé et il ne risquait pas de bouger ; Il avait les 2 jambes brisées et les pieds pendus au plafond avec des poulies et tout le reste. Je lui ai dit que le commandant Naudy m’envoyait pour le remplacer, que j’essaierais de faire de mon mieux mais que je comptais beaucoup sur le lieutenant Lavigne. Erulin m’a interrompu pour me dire : « Hélas, je viens d’apprendre que Lavigne a été arrêté la nuit dernière par les G.M.R. (29) , alors il vous faudra me remplacer moi et Lavigne aussi ». Ça commençait bien. Pour me rassurer Erulin m’a dit : « J’ai déjà demandé un autre officier ou un adjudant pour vous aider, j’espère qu’il arrivera bientôt ». Il est arrivé cet officier mais je l’ai attendu longtemps ; c’était le lieutenant Evans (30) (Jacobs)… il est arrivé le 23 ou le 24 mars 1944. Je n’ai eu que le temps de le présenter dans 2 maquis seulement. Il est venu avec moi au parachutage de 2 avions dans la nuit du 26 au 27. Je lui ai laissé 1 million sur les 5 reçus. Evans prenait en compte les 3 maquis restants du secteur du Mont-Dore ; il fallait bien les nourrir. A l’O.R.A. on payait tout ce qu’on prenait. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu de problème pour la nourriture, on donnait même des tickets. Pour l’essence, j’ai dû utiliser la force, mais j’ai toujours payé ce que nous prenions. Il est allé cacher les armes reçues avec l’équipe du maquis de Prondines qui nous avait accompagné. Je suis parti pour Vichy porter les 4 millions restants au commandant Erulin qui avait enfin quitté la clinique pour rentrer chez lui à Vichy. Mais je suis allé au retour à la permanence radio de l’O.R.A. pour accuser réception du parachutage et la Gestapo m’a cueilli. Le lieutenant Evans s’est retrouvé exactement dans les conditions que moi 7 mois plus tôt.

Avant que je rencontre Erulin la Gestapo avait déjà arrêté bon nombre d’officiers de l’O.R.A. D'abord le Colonel Boutet que j’avais souvent rencontré et surtout le commandant Fontfrède dont j’étais devenu un ami. Il est mort à Dora. Il a évité la déportation de beaucoup de juifs. Maintenant, quand j’entends les descendants de ces juifs insulter la gendarmerie de la France de Vichy, je pense au commandant Fontfrède et cela me fait très mal.

C’est je crois au début août 43, un après-midi, j’ai entendu une voiture entrer dans la cour du 21 avenue de Royat. J’ai regardé c’était la Simca 5 militaire bleu Armée de l’Air du commandant Naudy. Il s’est garé en avant de mon garage dans un recoin invisible du premier immeuble. Naudy connaissait mon immeuble presque aussi bien que moi. Il est sorti de la voiture et j’ai été surpris car il ne portait que son pantalon et une chemise blanche. Pas de cravate et pas de veste. Il se passait quelque chose d'anormal. Je suis allé lui ouvrir et il m’a dit : « Bannes, ça va mal, la Gestapo est à mes trousses. Ils sont venus à la SLOSA pour m’arrêter. J’ai vu la traction noire, j’ai entendu quand ils ont demandé au planton où était mon bureau, alors j’ai sauté par derrière où se trouvait la Simca. Je n’ai pas eu le temps de prendre ma veste et je suis venu chez vous. Je ne peux pas aller chez moi. Ils y sont déjà surement. Il faut me prêter une veste et votre Simca 5 (ma Simca était verte)". Il a ajouté… "dans vos maquis vous trouverez bien une dizaine de chauffeurs ; vous ferez enlever les véhicules de la SLOSA ; vous pourrez entrer par le vasistas des chiottes qui donne sur la rue à côté pour ouvrir le portail de l’intérieur, mais ce qui est plus pressé, s’ils m’ont trouvé, ils ne manqueront pas de vous trouver aussi comme nous ne sommes plus que 2 anciens pilotes du 2/9. Je vous conseille de filer dès demain matin. Pour les papiers de la voiture vous avez ce qu’il faut ». Dans la nuit j’ai mis de nouvelles plaques pour la voiture, fait une carte grise et le lendemain ma femme, mon fils de 3 ans, discrètement, nous avons rejoint un petit appartement à Saint-Sauves. Je m’y suis installé comme apiculteur !

J’ai raconté par ailleurs comment je distribuais sans compter les faux-papiers à tous ceux qui en avaient besoin. Mais d’où venaient ces faux-papiers ?

J’ai toujours pensé qu’ils m’étaient livrés à domicile par l’imprimerie nationale de Vichy, mais je n’en ai jamais eu la preuve. Dans les bouquins de l’O.R.A., Il est écrit qu’après l’arrestation de De La Blanchardière, c’était Frety (Job), mais Job m’avait refilé cette partie de son boulot, alors d’où venaient-ils ? Toujours par pleine valise ! Pour moi je recevais, dans ma chambre de bonne accessible aux seuls initiés, tous les mois une valise pleine de cartes d’alimentation. Je n’ai jamais demandé à personne de me les envoyer ! J’ai lu quelque part qu’un petit imprimeur de la région les fabriquait. Il est possible que beaucoup de petits imprimeurs aient imprimé de fausses cartes d’identité. Mais on ne risquait pas de trouver la moindre différence entre celles que je distribuais et celles de la mairie de Clermont-Ferrand ou d’ailleurs. Et puis j’avais les certificats de travail, les cartes grises, les permis de conduire. Quand j’en avais besoin, je pouvais les demander (ça et bien d’autres choses) indifféremment à Frety ou à Erulin. J’ai connu Frety avant de connaître Erulin. Avec Frety j’étais beaucoup plus libre ; il était lieutenant comme moi, nous étions du même âge. Erulin était plus âgé, mais il était beaucoup mieux introduit dans les milieux de Vichy. Je ne dis pas cela pour réduire l’action de « Job ». J’ai été témoin d’actions extraordinaires de Frety que, si on les voyait dans un film, on dirait : « C’est du cinéma ! ». Pour ceux qui n’auraient pas lu ce que j’ai déjà écrit sur lui, je rappelle quelques faits :

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(21) Roger Frety (1913-2001), FFI déporté -  https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/ark/1397745
(22) Serge Charon (1910-1992), résistant déporté - https://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=119165
(23) Le réseau de Résistance Mithridate, fondé dès juin 1940
(24) Pierre Bellut (1915-1998) : à vérifier
(25) Réseau de Résistance de cheminots

(26) SLOSA : Section Locale des Œuvres Sociales de l’Air (Décret 12 mars 1941, JO 16 mars 1941)
(27) André Erulin (1907-1951) -  https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Erulin

(28) Henri Lavigne-Delville (1915-2004), résistant
(29) Groupes Mobiles de Réserve
(30) Michel Guillaume Jacobs (1911-1944), FFI, tué par un éclat d’obus qui a explosé près de sa voiture -  http://www.ons-jongen-a-meedercher.lu/archives/personnes/jacobs-guillaume-michel/documents

Arrestations de résistants

Frety, dit Job, était activement recherché par la Gestapo depuis plus de 6 mois alors qu’il allait presque toutes les semaines dîner et faire la java au restaurant de la Gestapo, qu’il les connaissait tous par leur prénom, leur serrait la main, et leur adressait des sourires complices. J’ai déjà raconté comment un soir et par surprise, il m’a amené dans ce restaurant, il m’en a présenté plusieurs… Puis en aparté il me disait : « Eh bien tu vois, maintenant tu les connais ceux qui te mettront la main au collet un de ces jours ». C’était un mélange de Père De Foucault et de James Bond. Il a été arrêté 2 jours après moi, mais il n’a pas reçu un seul coup de poing. Cela faisait 2 jours que j’étais torturé et que je refusais d’ouvrir la bouche, lui devançait les questions, il répondait pour les autres, il les noyait sous un flot de bobards. Ils lui faisaient des politesses… et ils étaient tellement contents d’avoir enfin capturé Job ! Ils s’excusaient de ne pouvoir lui offrir une chambre pour lui tout seul, ils ne disposaient que de cellules de 2 sur 1 et il y avait déjà 3 prisonniers dans chacune. Ils lui ont demandé avec qui il préférerait aller et quand ils lui ont dit que j’étais là, il leur a dit : « Mettez-moi avec Bannes, c’est un bon copain ». Lorsque je l’ai vu arriver dans ma cellule où se trouvaient déjà les lieutenants Fayard (31)  et Mollard (32) , j’étais catastrophé, non seulement pour lui, mais pour l’O.R.A. et toute la Résistance. Et lui rigolait. Il m’a raconté comment il était arrivé dans notre cellule, on aurait pu dire sur sa demande. J’étais furieux contre lui, moi qui avais refusé d’ouvrir la bouche, voilà que l’homme le plus recherché de la région leur disait qu’il était mon copain ! Je lui ai dit que cela ne me flattait guère et qu’il aurait mieux fait de fermer sa gueule. Puis il a échafaudé un plan… que j’ai qualifié de ridicule dès qu’il m’en a parlé. Mais lui avait son idée. Il était peut-être 2 h du matin, les gestapistes étaient allés dormir… il s’est mis à tapoter sur la porte métallique. Ça répondait de tous les côtés, tous ces radios étaient déjà là. Il m’a expliqué ainsi qu’à Fayard et Mollard ce qu’on allait leur dire. Fayard et Mollard étaient de mon avis : jamais ils ne croiraient une telle histoire. Frety n’en démordait pas et répétait : « Si on dit tous la même chose, ils nous croiront ». Et Frety avait raison, ils nous ont cru, plus aucun de nous n'a été torturé, plus personne n'a été arrêté, mais l’alerte était donnée et plus personne n’a dû se rendre à cette permanence radio.

En tout cas Frety était un sacré bonhomme, il a roulé dans la farine toute l’équipe de la Gestapo de Chamalières. Je ne l’ai revu qu’une seule fois, il était rentré sans trop de dégâts apparents, mais moralement il était méconnaissable. Il est venu me voir à Saint-Sauves. Il connaissait bien le chemin pour avoir fait plusieurs émissions de chez moi. Après le repas il m’a dit : « Je suis venu te dire adieu, ne cherche pas à me revoir, je ne veux plus voir personne, je rentre à La Trappe ». J’ai respecté sa volonté alors que je voulais tant le revoir.

Je pense que c’est Erulin qui intervenait pour nous faire porter les papiers. Frety allait voir Erulin plus souvent que moi, mais Erulin connaissait tout le monde à Vichy. Mais en plus, Erulin avait un bel appartement à Vichy, et aussi un petit au Mont-Dore, une planque. Dès nos premières rencontres, il m’a envoyé chez lui au Mont-Dore pour prendre je ne me rappelle plus quoi. J’ai fait la connaissance de Mme Erulin qui m’a remis ce que j’étais venu chercher. Elle m’a présenté leur fils Philippe. Dans la rue, le jeune m’a rattrapé pour me proposer ses services. Il avait une douzaine d’années et il me disait : « Je suis un gosse, personne ne fait attention à moi, je peux passer partout, etc. ». Je l’ai félicité et remercié, mais bien sûr je ne l’ai pas utilisé. Je passais souvent longtemps avec le père Erulin pour recevoir des instructions, mais aussi pour lui tenir compagnie… avec ses jambes pendues au plafond, il devait s’ennuyer ferme. Un jour qu’il était parti pour faire des confidences, il m’a raconté qu’il connaissait le maréchal Pétain depuis longtemps et qu’il avait son entière confiance, que le maréchal l’appréciait beaucoup et que son fils Philippe était l’un des nombreux filleuls du maréchal. Comme Philippe avait déjà une dizaine d’années, leurs relations ne dataient pas de 1940. Je signale en passant que le petit Philippe Erulin est devenu colonel, plus connu que son père… C’est lui qui commandait les paras qui ont sauté sur kolwezi.

Le père Erulin m’a raconté plein de choses sur ce qui se passait à Vichy il y a bien longtemps de ça et je ne m’en souviens pas, mais il était remarquablement bien placé.

J’ai déjà dit comment j’avais été désigné pour remplacer Erulin au secteur du Mont-Dore, mais il occupait d’autres fonctions. Au début, j’allais le voir à la Polyclinique très souvent pour qu’il me donne les nombreux renseignements dont j’avais besoin. Par la suite, je le voyais moins ; j’allais le voir au moins une fois par mois pour qu’il me donne l’argent nécessaire, ma petite indemnité mensuelle, et les frais généraux et surtout l’argent pour les maquis O.R.A. L’argent nous tombait du ciel mais pas à volonté. Il n’y en avait pas à tous les parachutages. Par deux fois, Erulin m’avait dit : « À la prochaine lune, il y aura le parachute blanc ». Je rappelle que les parachutages n’avaient lieu que pendant la pleine lune, que les parachutes étaient de couleur grise, mais que le container avec les 5 millions, les cigarettes, et autres objets plus ou moins précieux, avait un parachute blanc. Mais les parachutages n’arrivaient pas toujours comme prévu. J’ai passé de nombreuses nuits avec mon équipe et deux camions à regarder la lune qui poudroie… pour rentrer à vide au petit jour. Je n’ai reçu qu’une fois le parachute blanc tant espéré et c’était du 26 au 27 mars, ma dernière nuit de liberté. Or, pendant tout ce temps, sauf pendant 2 mois en hiver, où Erulin était à sec, il me versait régulièrement les sommes dont j’avais besoin. Il y avait bien d’autres que moi qui recevaient des parachutages et qui lui portaient l’argent. Erulin était le trésorier de l’O.R.A. et je pense qu’il l’était pour toute la R 6 (Auvergne). Je savais que Frety allait le voir plus souvent que moi. Il avait besoin d’argent lui aussi, mais il y allait pour bien d’autres choses, et pas que pour lui demander d’expédier à tel ou tel autre les valises de cartes d’identité. Erulin disposait de sommes considérables qu’il gardait dans une sacoche près de son lit. Quand il devait me donner de l’argent, il me disait : « Passez-moi la sacoche ! ». Je me suis souvent demandé comment il a pu passer 6 mois sur un lit d’hôpital et faire tout ce qu’il faisait sans être inquiété par la Gestapo. Il devait y avoir très peu de gens qui allaient le voir aussi souvent que Frety ou moi-même. Quand il a quitté la clinique début mars 44, il m’a dit : « Voici mon adresse à Vichy, mais je ne la donne qu’à vous. Si je suis arrêté, je saurais que c’est vous qui m’aurais vendu »… Quand Frety m’a rejoint dans la cellule de la Gestapo, il m’a dit qu’il était allé voir Erulin 3 jours plus tôt. Je lui ai dit : « Tiens, il t’avait donné son adresse ? il m’avait dit que s’il était arrêté, il saurait que ça venait de moi ». Frety m’a répondu : « Il m’avait dit la même chose, tu penses bien qu’il l’avait dit à tout le monde». Il n’empêche que ce « tout le monde » devait être très restreint. Il faisait bien apporter des imprimés à volonté à tous ceux qui en avaient besoin, mais il fallait le contacter. Frety étant le chef des transmissions de l’O.R.A. pour la zone sud ; il devait transmettre bon nombre de commandes. Tous les chefs départementaux de l’O.R.A. devaient savoir que via le chef des transmissions, ils pouvaient obtenir tous les papiers dont ils avaient besoin. Je ne peux pas dire si le système a fonctionné partout, ni sur quelle échelle, mais en R 6, ça marchait parfaitement. J’estime avoir fait entre 1 000 et 2 000 cartes d’identité. Dans toute la R 6, il y avait au minimum 10 personnes qui faisaient le même travail que moi ; plus près de 30 ; rien que pour le Puy-de-Dome nous étions 4. Pour toute la zone sud, je ne crois pas exagérer en disant que plus de 100 000 juifs ont reçu des papiers d’identité via le colonel Erulin.

Evidemment, Ils n’ont jamais su que c’était grâce à un officier très proche collaborateur du maréchal Pétain qu’ils ont obtenu ces papiers.

A Vichy, comme ailleurs dans la France occupée, 99% des Français étaient violemment anti-allemands et non pas l’inverse, comme les médias de 1997 voudraient nous le faire croire. Les Juifs ont été protégés au maximum, et nous étions tous sous la botte nazie, bien obligés de faire semblant d’obéir… à commencer par le maréchal Pétain.

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(31) Jacques Fayard (1923-1945) mort en déportation le 6 avril 1945
(32) Roger Serge Mollard (1921-1945), arrêté en mars 1944, déporté à Dora et abattu le 10 avril 1945  - https://memorial.saint-cyr.org/PLE/MOL_IR_0004_PLE.jpg

Comment êtes-vous entré dans la Résistance ?


Ci-joint quelques extraits de récits antérieurs parus dans les années 1980 dans la Revue apicole

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Sans m’en apercevoir, et je peux dire par la voix hiérarchique !

Le groupe de chasse 2/9 est resté en activité jusqu'en 42 (fin de la zone dite libre). Nous étions là pour assurer la protection de Vichy ! On m’avait désigné pour être « officier de sécurité » du groupe. C’est à ce titre que j’ai commencé ma Résistance tout à fait officiellement… Par exemple, chaque fois qu’un soldat ou sous-officier allait en permission en zone occupée, il devait absolument ramener des renseignements. Au retour, je l’interrogeais et je mettais noir sur blanc tout ce qu’il avait pu apprendre, par exemple, sur le mur de l’Atlantique. Je transmettais à la sécurité à Vichy et ça partait pour Londres. Je croyais dur comme fer que le maréchal était au courant et qu’il jouait le double jeu ! L’était-il ou non ? je n’en sais rien, mais je peux certifier que personne ne se cachait pour lutter contre les allemands.

Le maréchal est venu en inspection début juillet 41. Nous lui avons fait une belle démonstration de voltige aérienne et tout le tralala ! Il a déjeuné au mess des officiers et comme j’étais le plus jeune officier du groupe, j’étais d’office « popotier », ce qui m’obligeait à lire le menu. Et devant Pétain, j’ai hurlé comme d’habitude le traditionnel : « Vos gueules là-dedans, voici le menu ! ». Le maréchal a fermé sa gueule comme les autres et j’ai lu le menu. J’ai bien déjeuné avec le maréchal Pétain ; le menu était amélioré.

Après novembre 42. Il a fallu changer nos habitudes. Le commandant Naudy, commandant du GC 2/9 savait que j’élevais des abeilles ; les autres officiers me plaisantaient souvent sur ce sujet. Je leur avais raconté que j’allais dans la campagne acheter des essaims que je faisais sortir des ruches au grand étonnement des propriétaires qui me prenaient un peu pour un magicien. Je connaissais bien l’Auvergne et parlais très bien le patois. Le commandant Naudy s’était dit que tout cela pouvait servir. Alors que tous mes copains pilotes partaient en Afrique du Nord à pied via l’Espagne, il m’a demandé de rester pour organiser les parachutages, rechercher des terrains, éventuellement pour décoller avec un petit avion, pour trouver des caches pour les armes, les maquis, etc. Il m’avait aussi chargé de la distribution des faux-papiers à tous ceux qui en avaient besoin : prisonniers de guerre évadés, réfractaires au STO, juifs, etc. Je recevais les imprimés vierges par pleines valises : cartes d’identité, permis de conduire, cartes grises, certificats de travail, cartes d’alimentation. J’avais plus de 30 tampons de préfecture et de mairie. Je ne devais pas adresser la parole à la personne qui me les apportait. Je ne les voyais d’ailleurs rarement car ils les déposaient par une fenêtre au rez-de-chaussée de ma chambre de bonne. J’habitais au 2ème étage, au 21 avenue de Royat à Chamalières, à 50 mètres de la Gestapo. J’ai toujours pensé que c’était l’imprimerie nationale de Vichy qui me les envoyait, mais je n’en ai pas la preuve.

Nous prenions beaucoup de précautions, mais pas assez. La Gestapo connaissait sans doute mieux que moi l’Organisation de Résistance de l’Armée. Plusieurs généraux et un grand nombre d’officiers ont été arrêtés, beaucoup fusillés et les autres déportés. L’Armée de l’Air n’a été touchée que pendant l’été 43. Le commandant Naudy s’était trouvé une planque ; il avait installé un bureau d’aide sociale aux familles de l’armée de l’Air. Un beau jour, il est arrivé chez moi en trombe et en bras de chemise. J’étais là par chance. Il m’a expliqué qu’il était à son bureau lorsqu'une Citroën s’était arrêtée en dessous. Il avait reconnu la Gestapo et il avait sauté de l’étage par-derrière, là où justement se trouvait sa voiture. Il n’avait pas pris le temps de récupérer sa veste, il m’a demandé de lui prêter une veste et ma voiture qui était une Simca 5 verte alors que lui avait une Simca 5 bleu de l’armée de l’Air. Il m’a dit : « Pour les papiers vous avez ce qu’il faut, vous vous démerderez, et je vous conseille de filer d’ici le plus vite possible car s’ils ont eu mon adresse, ils auront bientôt la vôtre ».

Dès le lendemain, j’ai pris ma femme et mon fils qui avait 3 ans et nous avons rejoint une position de repli prévue d’avance à Saint-Sauves-d’Auvergne.

C’était au centre de « mon secteur » car, entre-temps j’avais été désigné pour remplacer le chef militaire du secteur du Mont-Dore qui avait eu un grave accident, Erulin. Depuis la création des M.U.R. (33) par Jean Moulin, tous les mouvements étaient théoriquement unis. Tous les petits chefs étaient d’accord pour m’obéir, parce que c’est moi qui disposais de l’armement, celui qu’on avait caché de l’armée régulière et celui qu’on recevait par parachutage. Quand ils avaient les armes… pour obéir, c’était autre chose !

Par secteur, il y avait aussi un chef civil. Pour le secteur du Mont-Dore, c’était le Docteur Mabrut (34) (le Tonton). Il était de Bourg-Lastic, mais il devait se cacher et il commandait un maquis de 40 ou 50 hommes.

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(33) Mouvements Unis de la Résistance
(34) Dr Léon Mabrut (1907-1978), résistant -  https://www.archivesdepartementales.puy-de-dome.fr/n/leon-mabrut-dit-willy-mabrut-dit-charles-ou-tonton/n:583

En quoi consistait votre travail ?


Je m’occupais toujours des parachutages et des faux-papiers, mais en plus j’étais théoriquement responsable de tout ce qui se passait dans le secteur. Ce secteur allait de Clermont-Ferrand jusqu'en Corrèze et dans le nord du Cantal.

Il y avait d’abord les « sédentaires » c’est-à-dire les résistants qui restaient chez eux, mais qui étaient enrôlés en section et compagnies. Deux compagnies, celle de La Bourboule et celle du Mont-Dore fonctionnaient remarquablement bien.

Puis il y avait les maquis. Il y en avait 4 dans mon secteur. Le plus important était le maquis du bois des Trois-Faux en Corrèze. Il y avait environ 115 hommes commandés par Germain (35). C’était un maquis FTP, c’est-à-dire communiste. Germain était un brave homme. Je pense qu’il était sincèrement disposé à respecter les accords des «MUR ». De mon côté, j’ai insisté auprès de mes chefs pour qu’on lui fournisse des armes. Un peu plus tard Germain a été vidé par le commandant des FTP « parce qu’il avait pris des engagements avec les militaires ». C’est ce qui est écrit dans des bouquins sur les maquis de Corrèze (écrits par des communistes).

Le 2ème maquis en importance, c’était le maquis du Docteur Mabrut (le Tonton). Il y avait 40 ou 50 hommes. Ce maquis ne m’a posé que quelques problèmes mineurs dus au fait que le Docteur Mabrut ne connaissait pas les armes et quand je les ai armés, il a bien failli avoir de très gros pépins. Je me suis toujours très bien entendu avec le Tonton.

Un 3ème maquis près de Prondines (environ 35 hommes) était commandé par un jeune qui se faisait appeler Daladier. Il sortait de Saint-Cyr et avec lui, j’étais tranquille (Fradin ) (36).

Le 4ème maquis était au Claveix. Il y avait 15 à 20 hommes. Ils étaient tous anciens prisonniers de guerre. Je ne me souviens pas du nom de celui qui commandait au Claveix. Il dépendait du Docteur Fric (37) qui était à Clermont-Ferrand et de Morland, fondateur du mouvement de résistance des prisonniers de guerre. J’ai dû rencontrer Morland 2 ou 3 fois, mais je ne me rappelle pas de sa tête à l’époque. La seule chose qui m’est revenue en mémoire, c’est qu’un jour nous revenions d’une réunion peut-être chez le Docteur Fric, le Docteur Mabrut (le Tonton) m’a dit : «Vous avez remarqué le jeune qu’on appelle Morland, c’est un gars qui était député ». En 1982 seulement, j’ai appris que Morland n’était autre que François Mitterrand et la seule chose que je puisse me rappeler, c’est ce que m’avait dit Mabrut à son sujet en 43. Mais son maquis du Claveix m’a posé des problèmes qui se sont très mal terminés. Tant qu’ils n’avaient pas d’armes, ils étaient très gentils avec moi. En principe, je faisais la tournée des maquis une fois par semaine. Je leur portais vêtements, chaussures, tickets, parfois de l’argent, etc. J’ai reçu l’autorisation de leur distribuer des armes seulement vers Noël 43, des F.M (38), mitraillettes, grenades, et comme j’avais trouvé des téléphones de campagne dans une de nos planques, j’ai donné une paire de téléphones à chaque maquis. Je leur ai expliqué que dorénavant, il fallait monter la garde avec une sentinelle cachée au carrefour le mieux placé. Cette sentinelle devait rester cachée dans le bois et donner l’alerte au cas où elle verrait des camions allemands. Dans les autres maquis il n’y a eu aucun problème, tous ont compris qu’il s’agissait de leur sécurité et non de la mienne ; mais au maquis du Claveix, rien à faire. L’un d’eux m’a dit : « Vous nous prenez pour des bleus! » ; un autre : « Vous êtes le chef militaire, d’accord, on vous obéira après le débarquement, mais maintenant, fichez-nous la paix ! ». Je leur ai expliqué qu’il fallait mettre une sentinelle au moins entre 4 et 7 h du matin ! Je suis revenu plusieurs jours de suite, je les ai rassemblés tous en espérant que certains comprendraient. Je les ai suppliés de m’écouter. Rien à faire. Ils n’ont rien voulu entendre ! Lorsque mon adjoint est arrivé (il était temps), j’ai été arrêté 4 jours après, c’est la première chose que je lui ai signalée. Les maquis peuvent se débiner en cas d’attaque allemande, toutes les précautions sont prises, mais le maquis du Claveix se refuse de monter la garde. C’était le lieutenant Evans. Il n’a pas eu le temps de trouver une solution. Ces maquis ont été attaqués, je crois le 28 mars. Celui de Tonton et celui de Daladier se sont débinés sans aucune perte, mais le maquis du Claveix a été surpris en plein sommeil et tous ont été mitraillés et la ferme brûlée. Il y a eu par miracle un rescapé, blessé dans les premiers, d’autres lui sont tombés dessus et il a été récupéré vivant.

En 1946, il y a eu une grande cérémonie en leur mémoire. J’ai été invité et j’y suis allé. Je pense que François Mitterrand devait y être, mais je ne m’en souviens pas. Il y a eu les grands discours habituels et au dernier moment, on m’a passé le micro. Je ne m’y attendais pas et j’étais horriblement gêné. Je ne me rappelle pas ce que j’ai pu raconter. En moi-même, je pensais que, s’ils avaient exécuté mes ordres, ils ne seraient pas morts. Les familles étaient devant moi et j’étais obligé de dire autre chose. Pour un politique, c’est peut-être facile, mais pour un militaire comme moi, c’était terrible. J’ai dû passer pour un minable.

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(35) Germain Constanty (1900-1964), FTPF, militant communiste
(36) Edouard Fradin (1920-1983), résistant 6  https://fusilles-40-44.maitron.fr/fradin-edouard-dit-daladier/

(37) Dr Louis Guy Fric (1906-1993), résistant déporté à Buchenwald
(38) Fusils-Mitrailleurs

Avez-vous un souvenir plus gai ?


Oui, Heureusement !

J’avais eu sous mes ordres à base d’Aulnay un sous-officier qui s’appelait Bellut. Après novembre 42, Il avait trouvé du travail à la gare de Clermont-Ferrand. Je l’ai rencontré par hasard et il m’a raconté qu’il s’était amusé plusieurs fois à changer l’étiquette de wagons destinés aux Allemands… Il avait envoyé à Marseille un wagon destiné à Brest et autres directions et que ça marchait… comme sur des roulettes. Aucun problème ! Il m’a dit aussi qu’il lui était arrivé d’entrouvrir la vanne d’un wagon d’essence pour qu’il se vide tranquillement en roulant !

J’ai alors demandé à Bellut s’il pourrait envoyer un wagon citerne plein d'essence dans le cul de sac du Mont-Dore, Il ne m’a répondu : « facile ! ». Je lui ai demandé d’attendre 8 jours ; ensuite il pouvait envoyer, j’aurais eu le temps de préparer la réception. J’ai immédiatement mis en alerte le garagiste Sauvagnat (39) du Mont-Dore et mon équipe habituelle de La Bourboule, Lucien Feder et quelques autres. Sauvagnat a fabriqué des tubes spéciaux fermés en bas et qui rentraient juste dans le trou où l’on plongeait les jauges pour que la citerne semble vide lorsqu'elle serait pleine. Nous avons équipé ainsi une dizaine de citernes au Mont-Dore et à La Bourboule. Nous avons attendu quelques jours et c’est un wagon plein de chaussures militaires qui est arrivé. Le chef de gare ne s’y attendait pas, mais il a compris que c’était pour nous et il nous a prévenu immédiatement. Nous avons fait plusieurs voyages avec le camion de Sauvagnat sous la surveillance discrète des gendarmes qui ont poussé un « ouf ! » au dernier voyage. Nous avons caché ces chaussures dans un garage loué par Lucien Feder (40) à La Bourboule. Il y en avait plusieurs milliers ; elles ont été distribuées au Mont-Mouchet.

Tout était prêt pour recevoir l’essence. Le chef de gare avait été très réticent au début, mais quand il a vu que les gendarmes nous avaient protégés tout le temps du déchargement et que tout s’était bien passé il était heureux comme tout et il m’a dit que le wagon d’essence serait le bienvenu.

Malheureusement Bellut a appris mon arrestation, et il n’a plus osé envoyer de wagons au Mont-Dore. Il ne savait pas qui contacter. C’est bien dommage car au Mont-Dore tout était prêt et même en mon absence tout aurait bien marché.


… un autre :


Début 43 la D.S.V. (41)  du Puy-de-Dôme cherchait un assistant sanitaire apicole. Étant secrétaire de la société d’apiculture, j’avoue que pour une fois j’ai intrigué pour être agréé. J’ai exigé d’avoir une carte signée du préfet pour accéder partout où il y avait des ruches, et il y en avait partout. Si le brave Dr Jouve avait su pourquoi je voulais cette carte, il aurait eu froid dans le dos ! J’avais besoin de circuler partout souvent en voiture alors que personne n’avait d’essence.

Je crois que c’était le 1er novembre 43, j’avais rendez-vous avec Germain au maquis des Trois-Faux. J’ai pris le train jusqu'à Eygurande avec mon vélo aux bagages. Je faisais toujours suivre non seulement ma carte de spécialiste apicole mais aussi un voile, un enfumoir, etc. Sorti de la gare j’ai pris la direction du village puis du plateau de Millevaches. A 5 km environ il fallait prendre une petite route pour rejoindre le maquis. Il y avait un virage avant ce petit carrefour et en sortant du virage je vois une section de soldats allemands qui gardaient le carrefour. Il était trop tard pour faire demi-tour, alors j’ai continué vers eux. Ils m’ont fait signe de m’arrêter. Un interprète m’a demandé où j’allais. Il y avait une ferme 300 mètres plus loin et j’avais remarqué qu’il y avait des ruches. J’ai montré ma carte de médecin des abeilles et mon attirail d’apiculteur. Je leur ai dit que j’allais à cette ferme pour visiter les ruches parce qu’il y en avait de malades. Le sous-officier m’a fait signe de laisser mon vélo et d’aller à la ferme à pied avec deux sentinelles dans mon dos. Les paysans étaient tous rassemblés dans la cuisine et ils étaient passablement terrorisés. J’ai expliqué en patois ce qu’il en était. Le paysan a compris de suite, il est venu au rucher ; les sentinelles sont restées en arrière. Nous avons fait semblant d’examiner une ruche vide et il m’a raconté ce qu’il savait : fusillade au lever du jour puis une autre plus tard. Il n’en savait pas plus. J’ai été très inquiet pour le maquis. Plus tard j’ai su que ça ne s’était pas trop mal passé. Nous sommes revenus au carrefour, les sentinelles toujours dans mon dos. Ils ont discuté un moment puis le sous-officier m’a fait signe de reprendre mon vélo et de partir. Ouf !

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(39) Jacques Sauvagnat, dit Maurice (1897-1944), FFI arrêté le 13 juin 1944, son corps est découvert après-guerre à Aulnat -  https://fusilles-40-44.maitron.fr/sauvagnat-jacques-francois-maurice/

(40) Lucien Feder (1912-2002)
(41) Direction des Services Vétérinaires

Comment vos abeilles ont-elles participé à la Résistance ?


Bien malgré elles, mais efficacement.

Quand on allait pour la première fois au maquis des Trois-Faux en Corrèze il fallait passer par un nommé Jazeix (42) . Il servait de boîte aux lettres et de concierge pour le maquis. C’était un communiste, acharné, résistant, gonflé à bloc et il avait une dizaine de ruches en paille. Il habitait et possédait une petite menuiserie à 300 mètres à gauche de la route qui d'Eygurande mène au plateau de Millevaches et au maquis des trois-Faux. Nous sommes rapidement devenus excellents amis.

Il avait envie de mettre ses abeilles dans des ruches modernes et il m’a demandé comment était faites les ruches à cadres. Je lui ai expliqué avec croquis, cotes à respecter, etc. Pendant qu’il travaillait une idée m’est venue : les containers qu’on recevait par parachute se divisaient généralement en 3 parties pour être plus faciles à transporter. Chacune de ces parties n’était guère plus grande qu’une ruche normale. J’ai demandé à Jazeix s’il pouvait me fabriquer une cinquantaine de fausses ruches à la dimension des containers. Pas de problème ! Je suis revenu le lendemain avec un modèle et Jazeix m’a fabriqué ces fausses ruches à la dimension nécessaire. Je lui ai demandé d’en faire quelques-unes avec des parois latérales amovibles pour pouvoir en les mettant côte à côte y loger des fusils mitrailleurs. Et aussi de m’en faire trois vraies ressemblant aux autres mais avec des cadres et tout ce qu’il faut pour y loger des abeilles. Il m’a fait tout ça en un temps record. J’ai immédiatement peuplé les 3 vraies ruches de ce modèle.

J’ai fait une dizaine de transports d'armes avec ces fausses ruches. J’utilisais un petit camion Citroën U23, je crois. Naturellement je mettais les 3 vraies ruches à l’arrière. La sortie était équipée de 2 tirettes comme toutes les ruches de l’époque. J’ai été arrêté une seule fois : j’étais allé chercher de l’armement caché à Aubière près de Clermont-Ferrand pour l’amener vers Bourg-Lastic. Entre Beaumont et Ceyrat je suis tombé sur un barrage de GMR. Naturellement ils m’ont fait signe de m’arrêter. Je suis descendu du camion l’air très décontracté et je me suis dirigé vers l’arrière. Le chef m’a demandé qu’est-ce que je transportais. Je réponds : « Vous le voyez, ce sont des abeilles!». Je m’approchais négligemment d’une des ruches occupées. Il me dit : « Qu’est-ce qui nous prouve que ce sont des abeilles ? ». Je glisse une tirette en répondant : « Ça ! ». Les abeilles sortaient comme le jet d’une pompe à incendie. Ils se sont tous mis à hurler en battant des bras dans tous les sens. Le chef a crié : « Foutez le camp ! ». C’est la seule fois où j’ai lâché mes abeilles sur des policiers mais sans elles j’aurais forcément été arrêté ce jour-là.

Le plus amusant dans cette histoire est que Jazeix est devenu par la suite et pour un temps le plus gros fabricant de ruches de France. Il a eu la chance de ne pas être inquiété pendant la Résistance. Après mon retour de déportation je suis retourné le voir. On a parlé de ruches et il m’a demandé combien se vendaient les vraies ruches. On a parlé du prix, des quantités, etc. Je lui ai commandé 30 ruches pour moi-même et 100 pour le syndicat du Puy-de-Dôme dont j’étais le secrétaire. Les 100 du syndicat sont devenus 1 000 avec les syndicats voisins. Jazeix a fait construire une usine au bord de la route. Il est devenu fournisseur officiel de Manufrance et d'un grand nombre de syndicats. On peut retrouver des numéros de la revue française d’apiculture de 1948 à 1951. Il y a une demi-page de publicité pour la ruche Jazeix. Le petit communiste qui avait commencé en fabriquant de fausses ruches était devenu un gros industriel et il ne se sentait plus. En 1952 il est parti faire un tour du monde avec sa jeune secrétaire. C’est bien dommage pour lui et sa famille. Pour moi la preuve est faite : on ne peut pas être vrai communiste et chef d’entreprise !!! Il a fait faillite en 1953.

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(42) Jean-Baptiste Jazeix (1910-1990), FFI - https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr:443/ark:40699/m005a294647c704b.moteur=arko_default_66fbf634de6a5

Une journée avec mon ami Frety, dit "Job" ?


Frety était le chef des radios de l’Organisation de Résistance de l’Armée. Il avait perpétuellement besoin d’endroits pour émettre en direction de Londres. Ces emplacements devaient répondre à certains critères. Il fallait avoir le courant électrique et une place suffisante pour tendre un fil d’antenne d’une dizaine de mètres à l’intérieur de préférence pour une question de discrétion. En principe il n’y avait pas d’émission deux fois au même endroit… ou alors avec un intervalle de temps assez important. Par exemple Frety a fait deux émissions depuis mon appartement de Saint-Sauves qui s’y prêtait fort bien, une en novembre 43 et une autre en février 44.

Frety avait souvent des messages à transmettre en dehors de l’Auvergne. Il n’avait pas toujours son agent de liaison sous la main… Une fois j’ai porté pour lui un message à Toulouse et puis à Lyon. J’y suis même allé plusieurs fois. Les rendez-vous avaient lieu en gare de Perrache ou aux environs. Cela me donnait l’occasion de casser la croûte au buffet de la gare. On y mangeait remarquablement bien et on buvait au pichet un beaujolais de premier ordre. Pendant la guerre j’étais toujours volontaire pour aller à Lyon.

J’avais souvent recherché des emplacements pour les émissions de Job ou de ses radios. Evidemment le fait que je connaissais un grand nombre de paysans et surtout d’apiculteurs me facilitait bien les choses.

Un jour c’était au début de 44, Job m’a dit qu’il lui fallait trouver d’autres emplacements. Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain ou le surlendemain. A cette époque ma femme était repartie chez ses parents. Moi je couchais tantôt à Saint-Sauves tantôt dans l’un ou l’autre des maquis dont j’étais responsable et le cas échéant dans la chambre de bonne que j’avais conservée au 21 avenue de Royat à moins de 100 mètres de la Gestapo. J’avais prévu de lui montrer pas mal d’emplacement possibles. Nous sommes partis de bonne heure à vélo bien sûr. Nous avons commencé par les plus proches à Aubière puis nous sommes montés à Volvic où les gendarmes qui étaient tous avec nous en avaient trouvé. Puis nous sommes allés vers Pontgibaud, Herment et jusqu’à Eygurande. Vers 10 h du matin un paysan nous avait offert un coup sur le pouce mais nous n’avions pas arrêté de rouler pratiquement toute la journée. Nous avons dû parcourir environ 200 km. Comme j’étais ancien coureur cycliste cela ne me gênait pas et Frety était aussi très bon pour le vélo ! Quand nous avons terminé vers Eygurandes nous étions à plus de 70 km de Clermont-Ferrand, il faisait nuit. J’aurais pu rester dans le coin où je ne manquais pas de points de chute, mais Frety avait besoin de rentrer à Clermont. J’ai décidé de l’accompagner ; je devais moi aussi avoir affaire à Clermont. La route n’est pas plate, nous avons crevé ou je ne sais quoi. Je voyais les heures qui passaient, mon ventre criait famine et j’ai dit à Frety : « T’as quelque chose à bouffer chez toi ?; moi je n’ai absolument rien dans ma chambre de bonne ». Il m’a répondu : « T’en fais pas pour ça, je connais un bon restaurant ». Je lui ai dit : «Mais quand on arrivera, ils seront tous fermés ». Il m’a dit : «Te casses pas la tête j’en connais un qui sera ouvert! ».

Nous sommes arrivés à Clermont vers 11 h du soir place de Jaude. Nous avons pris vers la cathédrale puis tourné à gauche. J’ai mis pied à terre et je lui ai demandé : « Tu ne vas pas m’amener au restaurant de la Gestapo par hasard ? ». Et il m’a répondu : « Mais on y mange bien, ce n’est pas la première fois que j’y vais. Tu as ta carte de la LVF (43)".C’est lui qui m’avait donné cette carte; "si on te demande quelque chose, Mais rassures-toi personne ne te demandera rien du moment que tu es avec moi car je suis connu ». Je dis encore : « Mais si jamais des résistants sont planqués par là et qu’ils nous voient ? » « Te fais donc pas de souci Et puis ça te permettra de faire la connaissance de ceux qui un jour ou l’autre te mettront la main au collet ! ». Et j’ai suivi… comment faire autrement ?

Nous sommes entrés, je ne sais pas quelle tête je pouvais bien faire, mais je n’étais pas fier. Frety très à l’aise lançait de grands saluts à droite et à gauche. Puis nous avons mangé et à voix basse il me disait : « Tu vois celui-là, là-bas c’est Vernières, l’autre c’est Bresson, celui qui entre c’est x », et ainsi de suite. Il me tardait de sortir et quand nous nous sommes retrouvés place de Jaude nous nous sommes séparés. Je lui ai dit : « Ben, mon salaud, je savais que tu étais gonflé mais à ce point je ne croyais pas. En tout cas ne comptes pas sur moi pour recommencer ».

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(43) Légion des Volontaires Français

L'image des résistants après-guerre


Après mon retour en France Il n’y avait pas de télé mais il y avait la radio et les journaux, enfin les médias de l’époque ne tarissaient pas d’éloges sur les communistes. Les FTP avaient tout fait et à eux tout seuls. C’était le «parti des fusillés ». Je disais à qui voulait l’entendre que si on pouvait identifier tous les résistants fusillés à Aulnat , on y trouverait beaucoup plus de gens de l’O.R.A. que de FTP, mais je prêchais dans le désert. Un jour le journal La Montagne avait publié un article sur le camp de Buchenwald. A cette époque on ne connaissait qu’un camp de concentration et c’était Buchenwald bien sûr. L’auteur vantait les mérites des russes dans ce camp. Il affirmait même que les russes chantaient la Marseillaise et en français s’il vous plaît. Je n’ai jamais supporté de voir travestir la vérité. J’ai écrit au journal en invoquant le droit de réponse et La Montagne a publié ma lettre. Le rédacteur du premier article n’a pas éprouvé le besoin de me répondre. J’étais exaspéré par les prétentions des communistes et ce qui est grave c’est que beaucoup les croyaient. A cette époque à Clermont-Ferrand quand on disait : « J’ai fait de la résistance et j’ai été déporté », on m’a souvent répondu : « Ah, vous êtes communistes ! ». Cela me mettait en un état de rage. Je fais remarquer en passant que maintenant début 1992 les choses ont bien changé. On ne parle plus de Buchenwald ni des autres camps, on ne parle que des chambres à gaz d’Auschwitz !

Il y a quelques jours je parlais avec mon épicier des camps de déportation et des STO. Un quidam qui écoutait m’a dit : « Vous avez été déporté. Ah je ne savais pas que vous étiez juif ». J’ai encore quelques amis juifs. Je leur ai dit à force de tirer la couverture à soi on découvre le voisin. Il y a des réactions Elles peuvent s’amplifier en chaîne. Ils n’ont pas l’air de le comprendre ! C’est leur affaire.

Retour à la vie normale


Je reviens à 1945. Pour des raisons médicales consécutives à ma déportation à la visite médicale du personnel navigant j’avais été classé inapte ! Ne pouvant piloter je n’avais rien à faire dans un groupe de chasse ou autres, alors quand mon congé de convalescence a expiré j’ai demandé une affectation à la base d’Aulnat parce que je pouvais récupérer mon appartement de Chamalières. À cette époque on trouvait difficilement à se loger et c’est uniquement pour cela que j’ai demandé Aulnat.

Les faux résistants et les communistes


Cette base était commandée par un commandant FFI et FTP nommé Leroy ; rien à voir avec le général Leroy, authentique résistant et déporté. Le Leroy d’Aulnat était plus ou moins pilote, il avait dû être sous-officier pilote quelque part mais je n’ai jamais pu savoir où ! Soi-disant c’était un « grand résistant ». J’ai fait la connaissance des autres officiers ; il n’y avait que des FFI. Naturellement j’ai quand même essayé de savoir ce qu’avait fait Leroy dans la Résistance qui justifiait d’un avancement pareil. Plusieurs officiers m’ont dit : « Il commandait le maquis de Pontgibaud ». A quoi j’ai répondu illico : « Je regrette beaucoup mais je connaissais très bien celui qui commandait ce maquis. Nous étions voisins et on se rencontrait souvent et il est mort en déportation ». D'autres m’ont dit : « Oh, Leroy a camouflé un petit avion - un luciole - en 42 et à la Libération il a piloté cet avion, etc. ». J’ai répondu que Leroy avait peut-être bien piloté cet avion à la Libération mais que ce n’était pas lui qui l’avait camouflé dans une ferme à 50 km d’Aulnat pour la bonne raison que je connaissais très bien les sous-officiers de la B.A. d’Aulnat qui avaient fait ça et que malheureusement ces sous-officiers avaient disparu.

Tous les jours j’entendais parler des exploits de Leroy mais en réalité il s’était attribué des actions de gens qui avaient été fusillés ou déportés. Des livres sur la Résistance commençaient à apparaître et cela me rendait malade de lire ces falsifications de l’Histoire !

La plupart des livres sur les FTP d’Auvergne parlent du maquis des Trois-Faux. C’était le plus important, et ils étaient obligés de reconnaître que l’O.R.A. les avait aidés puisqu'à l’origine c’était un maquis O.R.A. Alors quand ils ne peuvent pas faire autrement ils écrivent « un officier ou un capitaine » mais sans dire qu’ils étaient de l’O.R.A., sans jamais citer le nom. En lisant leur livre je reconnaissais Erulin ou Lavigne-Delville ou moi-même. Les auteurs connaissaient parfaitement nos noms mais ils se gardaient bien de nous citer. Ils ont même eu le culot d’attribuer les transports d’armes dans de fausses ruches à un communiste de Corrèze alors que je suis bien le seul à avoir utilisé ces ruches. Elles avaient été fabriquées par un communiste Jazeix mais à ma demande et je les ai payées sur mes crédits O.R.A.

Le commandant Leroy d’Aulnat a usurpé tous ses titres de Résistance mais en plus c’était une crapule. Il détournait de l’essence, il a piqué du pognon dans la caisse, et, découvert il a fait mettre en prison le lieutenant-trésorier qui n’y était pour rien. J’étais responsable de la section d’entraînement et j’avais en compte 2 petits avions - cela me permettait de piloter un peu en cachette - mais j’avais aussi en compte un moteur d’avion 140 chevaux Renault. Un jour je me suis aperçu que la caisse qui contenait le moteur neuf avait été ouverte et qu’à l’intérieur le moteur avait été remplacé par un vieux moteur en ruine. J’ai fait une enquête et j’ai appris que Leroy avait fauché le moteur neuf que j’avais en compte. Comme il avait passé un marché de 3 000 lits de troupe avec la firme Guerchais Roche, il s’était fait donner sur le marché du marché, la cellule d’un avion Guerchais Roche. Il avait fourni le moteur et il avait son avion personnel à l’œil.

J’étais furieux mais que faire ? Finalement, j’ai fait un rapport détaillé avec le numéro des moteurs et détails sur la transaction et j’ai porté moi-même ce rapport au ministère et remis en main propre à l’officier de sécurité Air

15 jours plus tard, Leroy m’a dit de venir à son bureau. Il m’a montré mon rapport et il l’a déchiré en petits morceaux sans aucun commentaire. J’aurais dû penser que Tillon étant ministre de l’Air, il n’y avait aucune chance de justice.

Je ne me souviens pas à quelle date Tillon a quitté le ministère mais peu après la B.A. d'Aulnat a changé enfin. Leroy et son acolyte D'Agostino le chef d’E.M. du 4ème R.A. (44), un général du ministère et toute une bande d’officiers du même acabit se sont retrouvés ensemble dans un « Bidon V »(45) en plein Sahara… pas de troupes, rien que des officiers et tous du même bord. Ils y sont restés jusqu'à ce qu’ils donnent leur démission ! J’ignore si mon rapport y était pour quelque chose, peu importe ; ils avaient bien d’autres choses sur la conscience. Ils avaient quand même bien profité de leurs impostures pendant 3 ans grâce à des ministres plus ou moins mis en place par De Gaulle.

Pendant toute la guerre j’étais « gaulliste » même si on me qualifiait souvent de « Giraudiste » mais en 45 quand j’ai vu que De Gaulle avait placé des communistes partout, je n’ai pas compris et mon admiration pour lui a beaucoup chuté. J’ai eu des hauts et des bas en faveur de De Gaulle. Je suis redevenu gaulliste en 58 mais en octobre 59 je ne l’étais plus guère quand j’aidais les généraux félins à venir en France incognito en effaçant la piste de leur avion parti d’Alger sans plan de vol ; je crois avoir expliqué cela ailleurs. Cela m’a coûté mon 5e galon et la cravate de la Légion d’honneur. J’aurais bien pu me retrouver en taule pour de vrai mais je n’arrive pas à le regretter. Je répète quand même que De Gaulle avait cent fois raison de larguer l’Algérie. A cette époque je croyais le contraire. Il n’aurait pas dû dire : « Tous les Français de Dunkerque à Tamanrasset ». On serait dans un beau pétrin si maintenant on était tous Français de Dunkerque à Tamanrasset. Mais maintenant je lui reproche quand même de ne pas avoir largué plus tôt l’Algérie puisqu'il connaissait la situation mieux que nous et il a laissé tuer du monde pas pour rien car cela a beaucoup envenimé la situation. Mon fils aîné a passé 27 mois en Algérie dans de très mauvaises conditions. Lui aussi n’est plus très gaulliste.

J’en reviens à l’après-guerre immédiat et à l’histoire de la Résistance.

Je pense que le général De Gaulle avait des raisons politiques pour placer des communistes aux postes importants. Il savait pourtant et mieux que moi que Staline avait signé le pacte avec Hitler POUR que la guerre éclate. De Gaulle savait bien que le chef du P.C.F. d’avant-guerre Maurice Thorez avait déserté en septembre 39. C’est tout juste s’il ne lui a pas remis la Légion d’honneur quand Thorez est rentré en France. De Gaulle n’ignorait pas que la fameuse 5ème colonne qui sabotait et renseignait les allemands était surtout composée de communistes. Personnellement je ne risque pas d’oublier que j’ai bien failli me tuer en essayant un Morane 406 à Chartres en septembre 1939. Cet avion avait été saboté à la sortie d’usine et avec l’espoir de tuer celui qui le piloterait en combat. Je m’en suis sorti mais plusieurs pilotes n’ont pas eu la même chance que moi. La CGT avait ordonné ces sabotages et certainement pas que dans l’aviation.

Les communistes sont devenus patriotes quand Hitler a attaqué Staline et alors ils se sont battus, c’est vrai. On voudrait nous faire croire maintenant qu’ils sont entrés dans la résistance dès juillet 40 ! Deux ou trois isolés… l’exception qui confirme la règle.

Dans la Résistance ils se sont battus c’est vrai mais de là à prétendre avoir tout fait, nuance ! J’ai travaillé avec certains, je suis devenu ami et même je le suis resté avec quelques-uns… Il n’y a pas que des salauds au Parti Communiste !

Je persiste à dire que les bouquins écrits à la gloire des FTP ne constituent pas une base sérieuse pour écrire l’Histoire de la Résistance.

Dans les bouquins objectifs écrits par des gens honnêtes et sur des témoignages de gens sérieux, il y a aussi des erreurs et des omissions regrettables.

La plupart du temps il s’agit de choses sans grande importance mais puisqu'on m’a demandé mon témoignage je le donne sur ces détails !

Je commencerais par le livre de mon 2ème patron le colonel Erulin qui a écrit : « Du Cantal au lac de Constance » (46).

Erulin m’a apporté un exemplaire de son livre fin 45. Je ne l’avais jamais revu depuis le 27 mars 44. Je l’ai reçu assez fraîchement. Il s’en est étonné. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai répondu que c’était parce qu’il m’avait interdit de porter une arme quand je descendais en ville. Il m’a dit : « Mais les types de la Gestapo et de la milice étaient une vingtaine et vous étiez tout seul, vous auriez été tué ! ». Je lui ai répondu : « C’est probable mais de toute façon si j’avais su ce qui m’attendait je me serais suicidé, et puis la fusillade aurait fait du bruit et il n’y aurait pas eu ce jour-là et les 2 jours suivants 27 officiers de l’O.R.A. arrêtés au même endroit dont la plupart sont morts en déportation ». Erulin ne me comprenait pas. Il ne savait pas ce qu’étaient les camps de concentration.

Je n’ai jamais revu le colonel Erulin ; il a été tué en Indochine. Bien sûr j’ai lu son livre. J’espère que son historique du 152 (47) ne comporte pas d’erreur mais dans le préambule il y en a pas mal.

Il dit que Lavigne-Delville a été arrêté en décembre alors que Lavigne a été arrêté fin août ou au plus tard dans les premiers jours de septembre et par les GMR, et non par la milice. La milice l’aurait remis à la Gestapo !

Erulin parle du maquis des Trois-Faux et du maquis de Prondines, mais il ne cite pas le maquis de Bourg-Lastic (Docteur Mabrut qui était chef civil du secteur), ni du maquis de Mitterrand au Claveix. Il dit que Evans (capitaine Jacobs) commandait, après avoir dit 10 lignes plus haut que c’était moi qui le commandais. C’est Fradin (Daladier) qui commandait le maquis de Prondines. La vérité était pourtant bien connue d’Erulin puisque c’est lui qui m’avait donné l’adresse de ces 4 maquis et qu’il m’avait chargé de m’en occuper, des 4 et pas seulement du maquis de Prondines. Depuis le début septembre 43 je demandais à Erulin de me trouver un adjoint, officier ou sous-officier ancien, fantassin de préférence, pour instruire tous ces jeunes réfractaires ou STO pour la plupart qui ne connaissaient rien au maniement des armes. Je leur avais bien expliqué comment fonctionnaient les mitraillettes STEN (48) que je leur avais données et les Fusils Mitrailleurs et les grenades. Mais d’abord je ne pouvais pas être partout à la fois… il n’y avait pas que les maquis, il y avait beaucoup de sédentaires notamment au Mont-Dore et à La Bourboule. Et puis j’avais dit à Erulin qu’étant aviateur je ne me sentais pas à la hauteur pour instruire correctement tant de jeunes pleins de bonne volonté mais aussi très souvent d’une témérité ou plutôt d’inconscience pouvant entraîner des catastrophes. Erulin ne trouvait personne… jusqu'au jour où il a envoyé Evans, qui était à l’époque lieutenant comme moi. Evans était très certainement un excellent officier. Nous n’avons pas eu le temps de devenir amis. J’ai été arrêté 3 jours après son arrivée et il a bien commandé le maquis de Prondines et celui de Mabrut, je pense, mais après l’attaque qu’ils ont subie le 28 ou le 29 mars, quand Evans est devenu chef du maquis de Prondines, ce maquis n’était plus à Prondines.

Dans son livre Erulin parle incidemment de Sauvagnat pour dire qu’il a été arrêté et fusillé. Sauvagnat garagiste au Mont-Dore a fait un travail énorme pour la Résistance. Il était de tous les coups durs avec son camion : parachutages, transport d’armes, des chaussures distribuées au Mont-Mouchet, etc. Je ne peux tout énumérer. Il entretenait les 150 bus parisiens camouflés au Mont-Dore. Il avait si bien planqué les pompes à injection que lorsque les boches ont découvert les bus ils n’ont jamais pu les emmener. Sauvagnat était le pilier de la Résistance au Mont-Dore. Erulin le connaissait avant de me connaître. C’est lui qui nous avait mis en rapport. Même chose pour le responsable de nos sédentaires à La bourboule : Lucien Ferer, mais là Erulin ne dit pas un seul mot de Lucien ! Pourtant Lucien a fait un travail énorme en 43 et 44. De plus il a suivi Erulin jusqu'au lac de Constance. Pas une citation ni dans son bouquin ni pour la croix de guerre ou la médaille de la Résistance. Erulin me paraît avoir bien oublié ceux qui l’ont le plus aidé dans la clandestinité… et même après.

Je reviens un instant sur le maquis du bois des Trois-Faux. Son origine est contestée puisque l’O.R.A. le considérait comme un maquis O.R.A. et les communistes comme un maquis FTP. Je ne l’ai pas connu à l’origine mais quand je l’ai connu il était commandé par Germain, communiste modéré, et c’est l’O.R.A. qui avait fourni vêtements, chaussures, armes et argent. Certains ont écrit qu’il avait été attaqué le premier septembre, d’autres le 15 ! J’y allais le jour où il a été attaqué ; je l’ai raconté par ailleurs mais je ne peux pas me rappeler la date exacte. Par contre, je peux affirmer que nous avions prévu en cas d’attaque de nous retrouver dans les gorges de la Dordogne, là où se trouve maintenant le lac artificiel de Bort-les-Orgues côté sud. Dès le lendemain de l’attaque je les ai recherchés… pendant 3 jours. Le 3e jour j’ai enfin trouvé Jouanneau (49), son fils (50) est un 3ème dont j’ai oublié le nom. Je ne les avais pas trouvés plus tôt parce qu’ils se cachaient dès qu’ils apercevaient ma grosse voiture noire qu’ils prenaient pour une voiture de la Gestapo. Ils m’ont même dit qu’ils avaient failli me tirer dessus ! Jouanneau m’a expliqué que les communistes avaient menacé les jeunes qui voulaient aller avec eux et les avaient pratiquement forcés à filer dans l’autre sens et de s’enfoncer en Corrèze au lieu de revenir vers le Puy-de-Dôme comme convenu. Je n’ai donc récupéré que trois hommes sur 115. La majorité de ces hommes n’était pourtant pas des communistes. Je signale en passant que Jouanneau, son fils et leur copain étaient les héros bien involontaires de la célèbre évasion de la gare de Pontmort, évasion organisée par Coulaudon sous le nom de commissaire Denis. Cette évasion est racontée dans tous les livres sur la Résistance en Auvergne. C’est un modèle du genre et réalisé sans bavures. J’ai amené mes trois « réfractaires au maquis » jusqu'au maquis de Bourg-Lastic du Dr Mabrut, le Tonton. J’ignore ce qu’ils sont devenus après.

Le seul livre objectif que j’ai lu sur la résistance en Auvergne c’est « A nous, Auvergne ! » de Gilles Levy et Francis Cordet aux Presses de la cité.

En ce qui me concerne ils ont repris l’erreur d’Erulin ou d’autres car ils ont écrit, page 159 : « Les mesures de sécurité prises par Michel Jacobs (Evans) permettent de replier ces autres groupes sur le puy Mary ». Loin de moi l’idée de réduire les mérites de Jacobs, mais encore une fois, il venait d’arriver depuis 3 à 4 jours. Il ne connaissait pas encore tous ces maquis et c’est moi qui avais pris les dispositions en cause. Je l’ai déjà dit, si le maquis du Claveix avait exécuté mes ordres et monté la garde, la tuerie n’aurait pas eu lieu. En fait les dispositions que je revendique sont bien peu de choses : vers la Noël 43 j’étais allé à Aubière dans l’espoir de retrouver de l’essence planquée par mes sous-officiers en 42 sur les ordres du colonel Boutet. Cette essence était partie mais j’ai trouvé des fusils mitrailleurs, des grenades, et 6 téléphones de campagne qui avaient dû être camouflés par des gars du colonel Boutet. J’ai enlevé le tout au grand soulagement du paysan chez qui c’était caché. J’ai donné 2 téléphones à chaque maquis et je leur avais ordonné de monter la garde au carrefour stratégique le plus proche pour alerter le maquis en cas d’attaque. Ce sont ces téléphones de campagne qui ont sauvé les maquis du Tonton et de Daladier. A celui du Claveix (ex P.G. 51), maquis de François Mitterrand, tout le monde dormait. Ils sont tous morts sauf un nommé Giraud (52) qui en a réchappé par miracle.

Dans ce livre, page 47, Gilles Lévy me fait trop d’honneur car il a écrit en parlant du MNPGD (53) de François Mitterrand : « Ce mouvement était animé par Albert Bannes, François Mitterrand, Fayet De Montjoie, etc. ». C’est d’autant moins vrai que je n’ai jamais appartenu au MNPGD et en plus me nommer avant François Mitterrand, même si à l’époque on ne pouvait pas savoir que Mitterrand deviendrait Président de la République… Je pense que Gilles Levy a écrit cela sur le témoignage du seul rescapé du maquis du Claveix ; je peux me tromper mais je ne vois que cette explication. J’allais voir ce maquis comme les autres, au moins 2 fois par mois, et je leur portais ce que je devais ou pouvais leur porter. Ce maquis appartenait au MNPGD ; ils me voyaient souvent, alors qu’ils n’ont pas dû voir souvent François Mitterrand. Je ne vois pas d’autre explication à l’honneur indu que me fait Gilles Levy. Il faut dire aussi que le MNPGD avait pratiquement fusionné avec l’O.R.A. et que les maquisards ignoraient souvent à quel mouvement ils appartenaient. Nous étions dans la « RÉSISTANCE » un. C’est tout.

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(44) Chef d’Etat-Major du 4ème régiment d’Artillerie
(45) Bidon 5 : Poste de ravitaillement situé sur la piste du Tanezrouft entre l’Algérie et le Mali

(46) « Du Cantal au lac de Constance, Journal de marche du 1/152, Juin 1944-mai 1945 », 158 pages, imprimerie Ferd Harrach, Bad Kreutznach
(47) 152ème régiment d’infanterie

(48) Le STEN est un pistolet-mitrailleur britannique des années 1940
(49) Maurice Jouanneau (1902-1962), résistant
(50) Jacques Jouanneau (1924-2002), résistant 6 https://francearchives.gouv.fr/facomponent/5033164a5fd45d7e72a67df1d2cb745fcc31958b

(51) P.G. : Prisonniers de Guerre
(52) Lucien Giraud (1923-1955), FFI  - https://fusilles-40-44.maitron.fr/giraud-lucien-auguste-pseudonyme-dans-la-resistance-lule-ou-lujo/

(53) Le Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés (M.N.P.G.D.)

Additif qui ne fera pas plaisir à tout le monde (Novembre 1997)


Ce que j’entends à la télé me rend malade Je ne comprends pas que des gens sensés puissent raconter des sottises pareilles. Ils raisonnent comme si la France n’avait pas été occupée. Les gens qui accusent Papon raisonnent comme s’il pouvait faire ce qu’il voulait, comme si le maréchal Pétain lui-même était libre de dire et de faire ce qu’il voulait !

Je n’aurais jamais écrit ce qui suit si les Juifs n’avaient pas été aussi odieux, aussi ingrats. Je vais donner un exemple. Je ne dis que la vérité la stricte vérité mais rien que la vérité.

J’ai vécu six mois à Saint-Sauves ; ça manquait de confort mais j’étais au centre de « mon secteur » et proche de mes maquis. J’occupais avec ma femme et mon fils aîné de 3 ans un appartement minuscule communiquant avec des locaux agricoles. J’avais loué un très grand garage en dehors du village. Il y avait la Simca 5, une 23 CV Studebaker, et un parfois deux camions de la SLOSA. Officiellement, j’étais apiculteur. Dans la journée je circulais à vélo, exceptionnellement avec la Simca 5 et une ou 2 fois par semaine mais de nuit seulement je sortais avec la Studebaker en espérant que personne ne me reconnaîtrait.

Une nuit je rentrais vers 4 ou 5 h du matin en faisant le moins de bruit possible. La brave dame qui me louait le garage habitait contre ce garage. Elle m’a entendu et elle est venue me voir. Très gênée elle m’a dit : « J’ai quelque chose à vous demander ! Votre histoire d’apiculteur plus personne n’y croit. Les gens disent que vous êtes de la Gestapo ». Elle hésite un peu et puis elle se lance : « Moi je crois que vous êtes de la Résistance ». Nouvelle hésitation … alors voilà… : « Depuis plus de 6 mois je cache une famille de juifs, le père la mère et un fils de 20 ans ; avec nous ça fait 6 personnes dans mon appartement. Nous sommes les uns sur les autres ; ils ne sortent jamais. Au début je pensais que c’était pour quelques jours… Ce n’est pas une question d’argent, ils sont très riches et ils me donnent de l’argent. Ici avec de l’argent on trouve tout ce qu’on veut, mais cette promiscuité je ne peux plus la supporter, ça me rend malade ».

À mon grand soulagement je lui ai dit : « Dommage que vous ne l’ayez dit plus tôt ! est-ce qu’ils ont des photos d’identité ? ». Oui ! « Vous avez une machine à écrire je crois ? ». Oui ! « Alors allez les réveiller et je leur fais ce qu’il faut ». Elle était tellement surprise qu’elle restait plantée là comme pétrifiée. J’ai pris une petite sacoche cachée sous le siège de la Stude et nous sommes entrés dans la maison. Elle est allée réveiller ses locataires et ils sont descendus un peu hébétés. J’avais posé la machine sur la table et introduit une première carte. Le monsieur m’a dit : « Mais vous allez nous faire des papiers là tout de suite ? ». Et moi de lui dire : « Alors à quel nom Moïse ou Jacob ? ». Depuis si longtemps qu’ils attendaient, ils avaient choisi un nom depuis longtemps et en ¼ d’heure les 3 cartes étaient faites. Je lui ai dit : « Vous avez une voiture ? » « Oui, mais je ne m’en sers pas, je n’ai pas besoin ». Je lui ai dit : « ça fait plus sérieux quand on vous demande vos papiers, vous sortez tout c’est plus crédible ». Je lui ai fait la carte grise et le permis de conduire, 2 cartes de travail pour lui et son fils (chez Bergougnan (54) , je m’en souviens). Ces gens-là me regardaient comme si j’étais le Messie. Ils se demandaient s’ils rêvaient ou s’ils étaient bien éveillés. Puis il m’a dit : « Combien je vous dois ? ». J’ai compté les timbres fiscaux et je lui ai dit… : « tant!». Il s’est absenté un moment et il est revenu avec 300 000 francs.

Pour moi, c’était une somme énorme à l’époque. Je lui ai dit : « Non, non, vous me devez le montant des timbres c’est tout. Les imprimés j’en ai tant que je veux, je ne les paye pas ». Mais il a insisté pendant beaucoup plus de temps que je n’avais mis à les remplir. Il m’a dit : « Mais cela ne me gêne pas, ça vaut bien ça, etc. ». Il m’a raconté qu’au début 43 son fils avait été arrêté par la police française comme réfractaire mais qu’il avait donné 300 000 francs au commissaire D. de Clermont-Ferrand qui lui ne les avait pas refusés… Enfin ce monsieur était sincèrement navré que je refuse cet argent. Il a fini par me dire : « Mais enfin pourquoi vous voulez refuser puisque je vous les donne de bon cœur ? ». Alors je lui ai répondu : « J’en ai déjà fait beaucoup de faux-papiers à des gens comme vous pourchassés par les nazis. C’est une partie de mon travail normal. Si je gagnais un sou avec ces papiers, je ne pourrais plus me regarder dans une glace ». Et je suis parti me coucher mais j’ai bien compris que je l’avais vexé et par la suite, il m’a pris pour un con, en tout cas pour une bonne poire… car l’histoire ne s’arrête pas là.

Quand je suis rentré de déportation, j’ai passé un mois chez mes beaux-parents puis le médecin-chef du centre de visite du personnel navigant m’a donné 3 mois de convalescence à condition de les passer en altitude. Saint-Sauves convenait très bien. Au premier octobre, j’ai été sur ma demande affecté à Aulnat parce que j’avais la possibilité de récupérer mon superbe appartement de Chamalières.

Je dois dire que quelques jours après mon départ précipité j’étais revenu avec 2 copains et nous avions descendu tous les meubles dans le garage, la cave ou la chambre de bonne dont la fenêtre donnait sur une autre cour. J’avais entièrement dégagé l’immense appartement du 2ème étage et remis les clés à ma voisine du dessous. Elle m’avait dit qu’elle avait des amis professeurs qui vivaient à l’hôtel avec leurs meubles au garde-meubles. Je m’étais mis d’accord avec le propriétaire : ils pouvaient occuper l’appartement et payer leur part au propriétaire mais je me réservais la chambre de bonne, indispensable pour les papiers, le garage pour mes meubles, etc. Enfin tout arrangeait tout le monde et j’ai bien dit à ma voisine que ses amis devaient s’attendre à une visite de la Gestapo puisque j’étais recherché.

Après mon retour je suis allé les voir. J’étais heureux d’apprendre qu’ils n’avaient pas eu trop d’ennuis après mon arrestation mais ils m’ont appris que tous mes meubles étaient partis à la salle des ventes. La Gestapo avait fait tout enlever, même des choses qui ne valaient rien. Le locataire par intérim n’a fait aucune difficulté pour me rendre mon appartement mais je n’avais plus aucun meuble.

Je suis revenu dans mon ancien appartement superbe mais totalement vide J’ai emprunté 3 matelas à la base d’Aulnat, récupéré une grande caisse qui renversée dans la cuisine nous servait de table. Les sièges de la voiture arrangés nous permettaient de nous asseoir, mais tout était vide. Nous avons vécu ainsi plusieurs mois pour nous remeubler petit à petit. Nous étions jeunes et tellement heureux de nous retrouver ensemble que nous avons bien supporté ces ennuis. Mais j’avais quand même essayé de trouver de l’argent à emprunter pour m’acheter des meubles dès septembre. Mes parents n’ont jamais eu quatre sous d’avance et ils ne pouvaient pas m’en avancer. Mes beaux-parents en avaient en 1939 et ils comptaient bien vivre tranquilles rien qu’avec les intérêts et nous laisser le capital. Mais fin 45 ils étaient totalement ruinés comme tous les millions de Français qui avaient placé leur argent en rente sur l’Etat. Après avoir tâté le terrain dans diverses directions je me suis dit : « Mais les juifs qui voulaient absolument me donner 300 000 francs en janvier 44, peut-être pourraient-il me les prêter maintenant ? ». L’ancienne logeuse de ces gens m’a donné leur adresse à Paris et vers la mi-septembre 45 je suis allé les voir.

L’immeuble était superbe mais surprise à la porte il y avait un laquais habillé comme le portier du Négresco à Nice. Je n’en revenais pas ! J’étais tellement surpris que je n’osais presque plus entrer. Enfin je me suis décidé et le laquais m’a conduit au bureau de M… lequel m’a reçu avec des trémolos dans la voix. Il a appelé sa femme qui m’a invité à déjeuner. J’ignore si le repas était casher mais nous avons très bien mangé et bu un excellent vin. Puis à la fin il m’a dit : « Nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous. Si vous avez besoin de quelque chose ne vous gênez pas, je serai toujours heureux de vous rendre service ». Alors je lui ai dit : « Justement je suis venu pour ça. J’ai un très bel appartement à Chamalières ; je vais pouvoir le récupérer à la fin du mois mais il sera complètement vide parce que la Gestapo après mon arrestation a fait amener tous les meubles à la salle des ventes. Ma famille n’a pas un sou et j’ai pensé que vous pourriez me prêter 300 000 francs que je vous rendrai en plusieurs fois, mais le dernier versement sera fait avant 2 ans ». Sans se démonter, il m’a dit : « Je voudrais tellement vous faire plaisir mais vous savez, moi aussi je suis ruiné. Je ne peux vraiment pas disposer d’une telle somme, etc. ». J’étais un peu interloqué mais je ne me suis pas fâché et je l’ai remercié quand même.

Il a dû considérer que j'étais vraiment une bonne poire et qu'il pouvait encore me presser un peu. Quelques jours après j’ai reçu une lettre me disant : « Vous vous rappelez sans doute que lors de notre rencontre à Saint-Sauves je vous ai parlé du commissaire D. qui a fait sortir mon fils qui avait été arrêté comme réfractaire. Figurez-vous qu’il est en prison à Clermont. Vous savez, avec tous ces règlements de comptes, on met beaucoup de gens en prison. Il m’a rendu service, je voudrais lui rendre service. Est-ce que vous pourriez faire une attestation en disant ce que je vous ai raconté à Saint-Sauves ? Vous on vous croira ». Je lui ai fait le certificat exactement dans les termes souhaités, mais j’ai ajouté « moyennant la somme de 300 000 francs. »

Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de ce bon juif. Il est sans doute mort depuis longtemps mais je sais que son fils est bien vivant et qu’il habite toujours à l’adresse où je me suis rendu en septembre 45.

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(54) Fabrique française de pneus fondée par Raymond Bergougnan à Clermont-Ferrand

Dessin de Maurice De La Pintière

Notre camarade De La Pintière a réalisé ce très beau dessin, mais dans les camps rien n’était beau ! Il n’a pas osé dire toute la vérité par pudeur ou par peur de ne pas être compris. D’abord le « puni » devrait baisser le pantalon, les fesses étaient à nu ! et surtout les SS ne s’abaissaient pas à frapper eux-mêmes. Il y avait bien assez de « gradés » déportés qui se chargeaient de ce travail. Le SS était présent, mais pour compter les coups ou pour dire au gradé de frapper plus fort ! Le lecteur n’aurait pas compris, si à la place du SS, De La Pintière avait dessiné, dans sa tenue rayée comme la mienne, le petit gitan (plus bas qu’il n’avait jamais été dans sa tribu) et qui m’a si souvent frappé… Comment montrer son sourire radieux ? Quand il frappait on aurait dit que cela le faisait jouir.

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Maurice De La Pintière (1920-2006), résistant arrêté le 23 juin 1943, déporté à Buchenwald et à Dora puis Bergen-Belsen - https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_de_La_Pinti%C3%A8re